Jeanne BENAMEUR: Vers l’écriture

Récit de Transmission

Il y a des façons plus simples, plus aisées aussi, de découvrir un auteur et de pénétrer son œuvre romanesque, que de commencer avec un essai. C’est pourtant ce que j’ai fait avec ce livre de Jeanne Benameur. Que je ne connaissais que de nom, avant un passage à La Grande Librairie, il y a quelques mois, où elle présentait son dernier Roman « Vivre tout bas », et ce petit essai dans lequel elle relate son expérience d’animatrice d’Ateliers d’écriture , dont un en particulier qui s’est tenu à Montauban.

 Jeanne Benameur pour ceux qui ne la connaissent pas a 72 ans, est née en Algérie d’un père Tunisien et d’une mère italienne. A cinq ans elle quitte l’Algérie pour La Rochelle, et elle passera sa vie, son enfance et ses études à Poitiers puis en banlieue parisienne. Elle écrit déjà lorsqu’elle arrive en France, très tôt, sans doute prédestinée pour inventer de petites histoires et des pièces de théâtre. Elle est bilingue, l’Arabe, langue maternelle de son père, et le Français. Ce ne sont pas des détails, ce sont des repères importants pour comprendre la valeur accordée aux   sons et aux rythmes qui occupent une belle place dans ses romans. Puis CAPES, Professeur de lettres, parcours classique d’une enseignante, avant, depuis 2000, de   se consacrer à l’écriture, consultante chez Actes Sud où elle s’occupe plus particulièrement de Littérature Jeunesse. Œuvre déjà copieuse, tant romanesque, théâtrale et poétique, nombreux prix littéraires. Un parcours. Beau et fort.

Je ne connais rien de ses romans, mais voilà une erreur qui va rapidement être corrigée.

 Ce récit de transmission sur les ateliers d’écriture qu’elle a animé m’a profondément touché, ému, intéressé, captivé, c’est comme on voudra. Chacun d’entre nous, lecteurs, chroniqueurs du dimanche, écrivains refoulés, frustrés,  adeptes du journal intime, s’interroge sur l’écriture. C’est autant une passion, une envie, un besoin que souvent une thérapie. Pour moi qui commets quelques chroniques pour partager mes coups de cœur, sur des forums et bientôt sur un blog, c’est le cas.

Cinq étapes rythment le livre :
De scripteur à auteur

L’inscription
Le journal de bord
La correspondance
Le texte histoire
Et une réflexion sur l’éthique en tant qu’écrivain ou pas à animer des ateliers.

Jeanne Benameur analyse avec une infinie justesse la progression du jeune apprenti dans l’écriture. Rien n’est figé, elle dessine une trajectoire, propose des expérimentations, invente au fur et à mesure de sa vie à elle comme de la personnalité  de chacun, du simple scripteur à , peut-être un jour, l’écrivain qui sera publié. Par des outils, des réflexions communes, des partages, des temps de silence puis des moments d’expression commune.

C’est… passionnant. Il y a un temps pour chaque étape, un temps pour le silence et le secret qui ne doit pas être perturbé, où lentement l’on va poser son texte, l’affirmer, le penser, le travailler, le lire intérieurement « à voix haute », se l’approprier et faire connaissance avec sa propre langue. Cette étape nous dit elle est un chantier. Qui doit rester ouvert. Pour moi qui bavarde plus que ce que je n’écris, qui paraphrase plus que ce que je n’analyse, j’ai trouvé dans cette démarche, pleine matière à réflexion et à remise en question, en cause, de mon approche modeste de l’écriture. « En revenir au texte toujours. S’en tenir aux simples constats. « Laisser du temps au temps, laisser la nuit se poser sur un texte dont on se croit satisfait, et qui au petit matin, va nous paraître boursouflé, brouillon, pataud. On fait autant que l’on défait.

Différents outils de travail sont proposés avec une grande attention accordée aux sens, au toucher, aux odeurs, aux images ; « Écrire c’est une prise de risque (…) Écrire c’est aller au cœur des choses silencieusement. « Tout ce qui me permet de m’alléger est bon pour moi. Je marche, je contemple. Le vide me fait du bien. « JB nous apprend à nous débarrasser de toutes les scories de la vie, pour nous replier sur l’intime, nous ressourcer vers l’intérieur.

« Dans le monde encombré où nous vivons, j’ai besoin que l’espace intérieur soit de plus en plus vaste. Écrire élargit. Écrire approfondit. Écrire me rend « mieux vivante ». Sa longue psychanalyse lui a sans nul doute appris à se retourner vers ce qu’il y a de plus juste et de plus vrai en elle, de plus inattendu, de plus interdit ou ignoré peut-être. Sans cela, pas de texte crédible. On ne produira que des marchandises littéraires, des biens de consommation formatés, inutiles.  Je suis toujours friand de conseils de lecture, de forumeurs comme d’écrivains reconnus, et quand elle nous parle de Pérec, de Francis Ponge, de John Berger, ou de musique du silence à la John Cage… je note.

Certains exercices tirés de la vie quotidienne intriguent, comme celui où elle propose à ses élèves d’écrire sur une page de journal et faire réfléchir sur la façon d’occuper l’espace, en dehors des lignes, sur les parties blanches, entre les phrases ou par-dessus les mots, pour au final nous questionner et nous convaincre.  Il y a, nous dit-elle, mille façons, mille manières d’occuper l’espace. Il y a infiniment d’intuition  dans ses propos qui témoignent d’une simplification maximale intérieure pour se consacrer à ce qui nous entoure, la nature, les objets, les lieux, les êtres, bien suffisants pour éveiller l’inspiration.

Tout le chapitre consacré à la correspondance, écrire une lettre, m’a … captivé ! C’est si difficile d’écrire une lettre, à un ami, à un être aimé, mais aussi une lettre ouverte ou une tribune. Quel travail là encore. C’est un combat, une exigence. Nous le savons, chacun de nous, à nos niveaux respectifs, le désir de communiquer une joie, un plaisir de lecture, de trouver le mot juste, la ponctuation idoine qui va changer tout le sens d’un paragraphe .

Comme par exemple, quand on est sûr de la justesse de son texte, envers et contre tout. « Les réflexions sur le texte poétique interrogent, « débarrasser le poème de ses clichés qui ont parfois la peau dure ne se fait pas juste en disant que la poésie c’est autre chose. Il faut éprouver ce qu’un texte poétique peut apporter. « 

Autant pour apprendre, à écrire, que pour mieux me connaitre et me relier intérieurement à une sorte de simplification.  Après avoir lu ce récit de partage autant que de transmission, mes doutes sont ébranlés. Même si c’est pour moi, même si c’est pour une chronique, même si c’est pour une tribune, le jeu en vaut la chandelle non ? Le travail d’écriture s’apprend, se réfléchit, se médite, parce qu’il peut nous rendre meilleur, avec soi comme avec les autres. En cela ce petit livre n’est pas prêt de retourner sur une étagère de bibliothèque. Il va rester là, à me faire de l’œil, à portée de main, pour en méditer les pistes, celles qui conduisent vers l’écriture ! Et pourquoi pas un jour me glisser dans la peau d’un participant à un atelier. La vie n’est pas si longue que cela, il faut savoir se presser parfois de donner des tournures radicales à son existence.

Chère Jeanne Benameur, si un jour, par le plus grand des hasards, vous tombez sur cette chronique longue et bavarde, lisez-la avec indulgence. Sachez qu’au-delà des conseils, votre texte est autant émouvant qu’éprouvant.  Mais il a atteint son but.  Parce qu’il nous contraint à nous poser des questions.  On ne peut pas rester, pour peu que l’on soit lecteur, inerte, les bras croisés, sans devenir un jour actif, en pensée comme en écrit. C’est un petit traité de réflexion philosophique et spirituelle, que vous nous avez offert.
Je ne sais pas si JB a la foi, mais elle est sans nul doute animée par une quête spirituelle au sens large, et une foi dans l’écriture. Qu’elle partage ici.

Je vais dans tous les cas commencer à découvrir son œuvre romanesque.

Infiniment, merci. 

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