« L’Origine des Larmes » de Jean Paul DUBOIS 

Le dernier livre de Jean Paul DUBOIS, « l’Origine des Larmes », , un livre poignant, dérangeant et burlesque

L’Origine des Larmes Jean Paul Dubois

Editions de l’Olivier 256 pages

Jean Paul Dubois, Essayiste, Journaliste, Scénariste, Écrivain, une bonne vingtaine de livres. Et…   Toulousain. Surtout Toulousain plus encore qu’Occitan, avec ce léger phrasé que connaissent les gens du Midi. Bien connu depuis 2019 où il remporte le Prix Goncourt avec son très beau « Tous les Hommes n’habitent pas le monde de la même façon ». Il décrit son dernier livre comme le plus douloureux à accoucher.

Nous sommes en 2031. La pluie tombe, continue, dure et drue sur Toulouse. Paul, personnage récurrent de tous les romans de l’auteur, hérite de l’entreprise familiale détenue par sa mère adoptive, Marta Sorensen , propriétaire de l’entreprise Stramentum, spécialisée dans la fabrique de housses mortuaires zippées de haute qualité. Paul a perdu sa mère biologique et son frère jumeau à la naissance. Il n’en saura jamais rien de son père, Lanski, le salaud en négatif dans la vie de Paul, personnage ordurier, pervers, machique ,  en permanence  embringué dans de piteuses malversations et des   combines minables, juste tenu hors de l’eau par la mère de Paul,  sa femme, Marta, rare personne positive de l’histoire,  la mère adoptive  de Paul dont on peut se demander ce qu’elle a jamais pu   trouver à son mari. Lanski « crève » au Canada, où il a fui la justice, peu après le décès de sa   femme, et Paul y part récupérer son corps. A la sortie de la morgue, Paul   tire deux balles dans le crâne de son père, mort, 15j plus tôt. Il n’a aucune raison de ne pas avouer son geste prémédité. Le procureur de Toulouse se retrouve devant un cas d’espèce :  est-ce un crime de tirer sur un personnage dont la mort a été rapportée 15j plutôt ? Car il y a une jurisprudence sur un cas d’espèce similaire, quelques années auparavant,  mais où   le meurtrier qui a étranglé le cadavre ne savait pas qu’il était mort. Différence subtile et d’un point de vue juridique pénalement responsable ! Rassurez-vous amis lecteurs,je ne « spoile » rien d’important dans cette entrée en matière. Paul est   condamné à une peine avec sursis, et surtout à un suivi psychologique une fois par mois pendant un an chez un psychiatre le Dr Guzman, psychiatre singulier souffrant de « conjonctivochalasis » l’obligeant par moments à s’éclipser dans la pièce voisine pour mettre des gouttes dans ses yeux. Et voilà qu’arrive le cœur de l’histoire que JP Dubois va subtilement développer. Injonction de soins psychiques, prescripts par la justice, et entretiens sur un mode analytique, avant de pouvoir retrouver   sa liberté. Le livre va raconter le chassé-croisé entre Paul et son psychiatre, qui, intrigué par la personnalité de son patient, va tâcher, pas très adroitement d’ailleurs, de décortiquer les ressorts de sa personnalité et la signification de son acte. Les échanges sont puissants et savoureux, intellectuellement passionnants, même si c’est Paul qui à mon sens mène la danse et conduit son psychiatre dans les recoins choisis de son être.

Résumé ainsi, l’histoire peut paraitre un brin sordide. Nous sommes pourtant bien loin d’un thriller macabre. Ce n’est pas le sujet.  Nous sommes tout au contraire dans une histoire pleine d’humanité ». Aujourd’hui on commence même à dire pleine « d’humanitude », en quelque sorte d’humanité perdue en train de devoir être réapprise. Je n’invente rien.  On prend maintenant des cours d’humanitude dans les EHPAD figurez-vous !

 Le livre est beau, comme un diamant noir. Parce que si l’humour est sombre, et je dirai même gris très foncé,   il y a chez Paul, personnage solitaire  une toute petite lueur  d’espérance, surtout lorsqu’on  le voit faire plusieurs centaines de kilomètres en voiture pour retrouver à Hendaye, un chien qui pourrait être son double animalier. En tous cas son ami. C’est un très beau récit libertaire d’un écrivain qu’on pourrait décrire comme anarchiste désespéré dans l’âme. On sourit souvent, car l’écriture très fluide, coule comme la Garonne dont l’auteur aime tant arpenter les berges. On aimerait   cheminer à ses côtés, partager ses silences, le   long de ces berges qu’il affectionne tant.

  La Psychologie   inspirée et inspirante façonne avec finesse l’architecture du livre.

« Qu’est ce qui est vrai dans notre vie ? Ce à quoi nous voulons bien croire. La religion, le travail, l’amour, la confiance, l’argent, la réussite, tout repose sur des mécanismes codés, des imitations culturelles, des simulations tribales qui offrent la représentation d’une réalité, laquelle n’est pas plus fiable que l’empathie Scolarisée de U.No. (Un programme informatique en fait). Comme elle, nous apprenons à partir de données familiales, économiques, politiques, morales, que nous stockons afin de pouvoir, au fil des circonstances, représenter, interpréter ce que l’on attend de nous. Mes data sont sorties du cadre admissible et des limites de l’Imitation acceptables. C’est pour cela, que je me trouve ici, pour cela qu’il va falloir que je parle, m’explique et me justifie devant Guzman. Les hommes et les femmes simulent. A longueur de vie et depuis toujours. Ce sont des machines complexes, intelligentes, qui n’ont cependant pas accès à la sagesse ou à la connaissance universelle. La faute à un disque dur sous dimensionné. Lorsqu’ils parviennent aux limites de la compréhension, aux frontières de leurs data, la carte mère, dépassée, met en branle la vieille procédure « syntax error », qui elle-même enclenche un mécanisme d’évitement, avec ses corollaires, la panique, le mensonge, la simulation, la violence « 

Paradoxalement on ne ressort, certes pas indemne de cette histoire, c’est impossible, mais pas désespéré non plus. Il y a au contraire des fulgurances d’humanité, comme l’archet d’un violon    poussera la note jusqu’à l’extrême afin de se confondre avec la plénitude de la Vie.

Très beau, très fort. Poignant.  Merci Monsieur, de nous avoir donné ces émotions à partager. Et de nous avoir ainsi fait découvrir « l’Origine des Larmes ».  Vivement recommandé. 

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