
Dans un livre, il y a la forme et il y a le fond. Dans un roman, le fond peut parfois excuser la forme quand le pitch est bon. Dans un essai, le fond prime sur tout, si pas de fond pas de livre autre que des banalités maintes fois ressassées. Si dans un roman, la forme s’ajoute au fond c’est encore mieux, vous vous régalez et de l’histoire et des trouvailles littéraires, du rythme, de la matière et de la manière dont l’histoire est conduite, du style, du climat ambiant. Dans un essai philosophique, si la forme vient s’ajouter au fond pour le rendre plus lisible, on comprend vite et mieux, on réfléchit avec plus d’aisance et on capte des idées qui vont nous aider à revoir l’image que nous avons du monde. Il y a des auteurs de génie qui touchent à tout avec la forme et avec le fond. Par exemple, Albert Camus nous questionne avec « l’Étranger » et nous passionne avec « le Mythe de Sisyphe ». Dans ses romans, Pierre Lemaitre, pour ratisser large, par un style vif, alerte et des connaissances historiques indéniables crée et conduit des histoires, sociales et policières, de main de maitre.

Qu’en est-il de « Ta promesse » de Camille Laurens ?
Claire Lancel est une écrivaine dont on parle, en vue sans être l’auteur de best-seller. Elle trace sa route avec succès toutefois, avec réussite en écrivant des livres personnels, « autourdemoiistes », égocentrés, un brin nombriliste.
Gilles Fabian est un metteur en scène de spectacle dont les marionnettes sont le clou de ses spectacles et de son théâtre. Reconnu, avec un poste envié à L’Unesco, c’est un homme beau, séduisant, charismatique et il le sait. Il en joue, c’est son arme maitresse. La seule sans doute. Tous deux ont eu des vies privées sentimentales chaotiques, des mariages ratés, des occasions manquées, une fille Alice pour Claire, présente dans l’histoire. Des amants et des maitresses pour les deux. Le livre c’est leur rencontre. Histoire sentimentale de deux solitudes qui vont fusionner dans un amour passion où le sexe a beaucoup d’importance. Claire est aveuglément amoureuse, adepte de la catharsis érotique, elle le prouve, elle est prête à tout pour que ce grand amour soit le coup d’éclat qui transcende sa vie. Gilles lui, prévoit le coup, « dit » qu’il est passionnément amoureux, jamais en retard d’une phrase cliché pour resserrer sa mainmise croissante sur Claire. L’emprise, c’est le ressort du livre, l’ossature, le fil conducteur. Gilles va emprisonner Claire dans une promesse, celle de ne jamais parler de lui dans un de ses livres.
« Ce jour-là, il y a sept ans, nous avions plaisanté sur la question de savoir si on était libéré d’une parole donnée dès l’instant que l’autre ne respectait pas la sienne. Je soutenais que oui, que c’était comme un contrat, un mariage, un bail, que le manquement de l’un annulait l’engagement de l’autre. Lui disait que non, qu’on s’engage envers soi-même, « une promesse est une promesse. «
C’est le piège, dont les mâchoires vont peu à peu se resserrer sur elle et la broyer. Les caractères vont se dévoiler, une certaine forme d’absolutisme dans l’amour, empreint d’une immense naïveté dont on reste incrédule chez une romancière sociale, qui peint des caractères, dans ses récits, son père par exemple au centre de son dernier opus. Gilles va peu à peu circonscrire avec une habileté discutable son emprise et sa manipulation, façonnant et dévoilant son personnage dont on comprend que c’est, terme aujourd’hui générique, un pervers narcissique. Vrai, il y en a partout et dans tous les milieux. Le livre se lit bien, le style de Camille Laurens, dont j’avais passionnément aimé et chroniqué son manifeste féministe « Fille », fait mouche, (sauf peut-être la tentative d’imposer des vers libres que j’ai trouvé raté) la construction de l’histoire est sans faute, nous voilà plongés dans un thriller psychologique, social, amoureux, psychiatrique. Bourgeois.
Ces deux personnages que tout, croit-on, devrait rapprocher sont en fait à l’opposé l’un de l’autre.
J’aime certains de ses aphorismes « Souffrir passe. Avoir souffert ne passe pas. «, « nous sommes des femmes, pas vos mamantes. « ou encore « l’oreille est la lucidité de l’écrivain. «
Le livre se veut une illustration parfaite de ce concept venu des États Unis « le Gaslighting » très bien décrit dans le livre d’Hélène Frappat « le Gaslighting ou l’art de faire taire les femmes » qui reprend effectivement le film de Georges Cukor « Gaslight « sorti en 1944 avec Charles Boyer et Ingrid Bergman (que j’ai revu l’an dernier et qui a pas mal vieilli dans la forme mais peu dans le fond).

Cette technique, rappelons-le, est une manipulation psychologique, souvent d’un homme sur une femme, lui faisant remettre en question sa mémoire, ses capacités d’analyse, sa perception de la réalité au point de se retrouver la victime du manipulateur pour la conduire à la folie. Le fond, aussi, je le comprends est une peinture récurrente chez Camille Laurens du machisme, de la manipulation, de l’exploitation jusqu’à plus soif des travers masculins, un livre féminin et féministe ce qui me parait et utile et irréprochable. Là où à mon sens le bât blesse, c’est que nous n’avons aucune empathie pour ces deux personnages. Ni même aucun intérêt du tout. Claire est d’une naïveté confondante, au point de se demander ce qui peut bien émerger de ses livres en tant que vision féministe du monde. Gilles est un névrosé, pervers, sociopathe, toxique, complètement égocentré jusqu’à la moelle tout ce qu’on veut de pire chez un homme et il n’y a pas à chercher bien loin pour ça, en des termes crus, « c’est un con dont on n’a rien à cirer », qui de prince charmant va devenir Pinocchio. Ok. Nous les voyons évoluer tous les deux dans un monde et une société bourgeoise où l’on se questionne sur le fait de savoir de quoi ils vivent, les livres peut-être(?) les spectacles (qui ne doivent pas quand même toucher tant de monde que ça, ça vous nourrit un homme ?) dont la métaphore du Théâtre des marionnettes est épaisse et lourdingue. De quoi vivent ces gens ? A qui ce livre s’adresse-t-il si ce n’est à une élite sociale, aux familiers d’un Lacan des salons, des bobos parisiens qui alimentent les cocktails littéraires et vont se régaler à deviner des personnes qu’ils ont déjà croisées, dans la vraie vie allais je dire, dans leur vie tout court-e plutôt. Voilà qui m’a beaucoup gêné et déçu. Plutôt que d’explorer le portrait d’un taré, j’aurais déposé un baril de poudre pour dynamiter tout ce petit monde.

Ce que Éric Reinhardt par exemple, avait merveilleusement réussi dans cette thématique quasiment semblable avec » l’Amour et les Forêts » et avec « Sarah Suzanne et l’écrivain «, peignant des personnages et des situations qui nous étaient proches, déroulant son histoire jusqu’à la déraison, jusqu’à la folie, ici nous baignons pendant 300 pages dans les chambres d’hôtels à Toronto ou dans les luxueuses maisons de la région PACA où le mimosa tient sa place ( ce que Camille Laurens doit ignorer, c’est que c’est une plante combustible, envahissante au possible empêchant les autres plantes de se développer, allergisante et bourrée de chenilles. Un peu comme le genêt en Cévennes, mais sa métaphore est peut-être symboliquement voulue).

J’imagine peu de gens lire ce livre dans les transports en commun en allant tôt le matin au travail. La littérature s’adresse à chacun, pas à une frange choisie du corps social. Quand on parle d’Amour, même perverti ici, on peut et doit le faire en s’adressant à tous. Ce que dans un registre différent François Begaudeau avait formidablement réussi en 90 pages avec » l’ Amour ».

Il arrive un moment où l’on se lasse des égos démesurés de ces êtres riquiquis, absents du monde, sans aucun autre questionnement que leurs petites vies personnelles bourgeoises. Pourra-t-on dépasser un jour les livres égocentrés à ce point où l’on disserte d’un air posé sur « l’illusion amoureuse, la myopie du chagrin ou la vérité comme palimpseste. » ?
Enfin, sans rentrer dans des considérations inappropriées sur sa vie personnelle, je m’interroge comme lecteur sur la personnalité de Camille Laurens, qui écrit avec talent réflexion et finesse, sur son projet personnel d’écrivain , défiguré dans le passé , à mon sens, par des rancœurs ou règlements de compte infantiles avec Marie Darrieussecq accusée en son temps de plagiat littéraire et de « squat psychique » ou Anne Berest descendue en flamme avec « sa carte postale », pour des raisons peu glorieuses, deux autrices confirmées que personnellement j’aime beaucoup lire. Vos livres sont-ils une transposition de ce que vous vivez dans la vraie vie, ce qui garantit l’authenticité de vos récits ?


Marie Darrieussecq – Anne Berest
J’aime si peu la médisance ! Est-ce cela Camille qui me gêne, en filigrane , dans vos écrits désormais ? Pourquoi la myopie médiatique doit-elle si souvent s’inviter en littérature, le livre ne peut il se suffire à lui-même ?
Dans ce roman, il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas reconnaitre que nous avons la forme. Mais pas le fond.
Je suis…déçu, d’autres le seront certainement moins et aimeront.
J’ai trouvé ce livre froid, sans empathie autour de deux personnages dont au fond nous n’avons strictement rien à faire.
Si ce livre est bien un feu « d’artifices », ce ne sont pas ceux du 14 Juillet.
Camille Laurens
Ta promesse
Éditions Gallimard
368 pages
2025
Parole à la défense…