Cécile COULON : une bête au paradis

Il ne faut jamais cataloguer les gens, sur un article de presse, un passage télé, un extrait d’interview. C’est pourtant bien ce que j’avais fait avec Cécile Coulon.   Personnalité trop lisse, trop polie, trop parfaite, je l’avais hâtivement reléguée au rayon d’une littérature d’autoroute. Malgré son air espiègle. Quelle méprise de ma part !

 J’ai découvert cette romancière, nouvelliste et poétesse, à travers une exceptionnelle préface du livre de poèmes de Gabrielle FILTEAU-CHIBA, la remarquable romancière et poétesse québécoise, dans son recueil « La forêt barbelée ». Écriture somptueuse, pleine de grâce, de désirs, de beauté simplement, mettant en valeur, donnant une plus-value indiscutable au livre de GFC.

Me voilà donc parti chez mon libraire en quête d’un livre découverte. Je sortais d’une lecture décevante de « l’adversaire » d’Emmanuel Carrère, un auteur que j’aime bien mais un livre qui m’avait déplu. Coïncidence ou prolongement de ma dernière lecture, c’est « Une bête au paradis » qui m’attendait sagement   sur les rayonnages. Envie de changer d’air, de cadre, de paradigme, de personnages. Envie d’une humanité charnelle, de situations concrètes, de personnages aimables faits de chair et d’os.

Le Paradis, c’est la propriété familiale où travaille, se débat en permanence, tous les jours de l’année Emilienne, une paysanne au caractère bien trempé. Veuve, elle mène seule sa ferme, ses animaux de basse-cour, ses cochons et ses vaches. Une vie rude consacrée à l’agriculture, sans exutoire ni sortie possible. On nait, on vit, on travaille et on meurt à la même place. Blanche c’est sa petite fille, orpheline après le décès accidentel de ses parents, recueillie, élevée, formatée, avec son jeune frère Gabriel, conditionnée à prendre un jour la relève de la ferme, sans échappatoire possible. Louis un peu plus âgé, taiseux et amoureux transi, s’est greffé sur cette famille, enfant battu il a fui sa famille proche pour devenir fictivement le fils, le frère adoptif ou le commis, c’est selon. Alexandre viendra, lui, bousculer comme un chien dans un jeu de quilles, le ronronnement familial. Il est beau, souriant, charmeur, vite amoureux de Blanche qui succombera, tutoyant l’Enfer. Un drame va se jouer au Paradis, des liens vont se tisser mais se rompre, un drame humain, oppressant, un bouleversement des êtres, dans un climat de passions, de frustrations , de haines, accouchera  d’un carnage.

« La vie reprit son cours ; Alexandre se dépêcha de grandir, souriant sans raison à toutes et à tous, poli, drôle dans sa démarche un peu guindée. Hors de la maison, le garçon parlait beaucoup. Ses traits changeaient dès qu’il passait le jardin, effaçant le masque d’ennui et de résignation que ses parents collaient à son visage. La famille d’Alexandre vivait chichement sans être pauvre, ils s’exprimaient avec des mots simples sans être idiots, existaient sans vivre. L’unique fils de la maison grandissait avec deux cœurs un pour ses parents, un pour le monde extérieur. L’enclos de ses géniteurs, aimants malgré tout, attentionnés même si très silencieux, l’enclos de ses parents restait ouvert ; aussi pouvait-il être l’enfant beau et agréable au village, l’enfant discret et rêveur à la maison. « 

On se prend vite au jeu. L’esprit de Sandrine Collette n’est jamais très loin dans la trame, mais plus percutant à mon sens.  Le lecteur est vite ferré, et aura du mal à ne pas rempiler à la fin de chacun des courts chapitres. L’écriture de Cécile Coulon est très pure, sans fioritures, parsemée   de formules éblouissantes. Elle sait rendre vivant le Paradis comme si elle même y avait toujours vécu, comme si elle était la   jumelle de Blanche. Même si on peut avoir quelques doutes sur sa vision de la réalité paysanne. J’adhère un peu moins au fil de l’intrigue, prévisible, qui aurait mérité plus de surprises et de rebondissements, plus de cruauté encore, à la manière d’un Gabriel Tallent dans « My absolute darling ».

» Blanche était toujours à genoux. Son pantalon gisait sur l’herbe, ses jambes allumettes, repliées sous ses cuisses, rosissaient. L’eau coulait toujours du robinet : Blanche dévia le jet du plat de la main entre ses cuisses, d’un bras elle se tint au robinet, de l’autre elle dirigeait l’eau- si froide pensa Louis- contre son sexe, dans son sexe, qu’elle frictionna si fort que Louis ressentit dans son bassin les brulures que ce geste et la température de l’eau infligeaient à Blanche. Les doigts armés de phalanges raides et d’ongles longs, elle lustrait cette fente où Alexandre s’était à maintes reprises enfoncé, où elle avait accepté, voulu et redemandé qu’il s’enfonce de nouveau. A présent, sous les yeux ébahis de Louis, elle se vidait d’Alexandre, grattait ses parois jusqu’au sang, nettoyait les traces de son passage, les restes de leurs après-midis au creux des draps brodés de la Famille Emard. Elle se rinçait en bête blessée, ratatinée sur elle-même, à moitié nue, l’eau coulait sur ses cuisses et finissait sous la terre avec le lait, la bouse, la vase et le peu qu’Alexandre avait laissé de lui. « 

Malgré quelques réserves sur le rythme de l’intrigue, ce livre reste cependant pour moi une belle découverte d’auteur. J’ai aimé sans adorer et sans être complètement conquis. Mais suffisamment pour redonner une chance sur un autre livre peut être plus abouti ou sur un recueil de poèmes. Nul doute que Cécile Coulon s’est depuis lors installée dans le paysage littéraire français, avec force talent et sincérité. Recommandé. 

Cécile Coulon se présente: très bien d’ailleurs!

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