Clara Arnaud: Et vous passerez comme des vents fous

Publié le 5 octobre 2023 dans la catégorie Pleines lignes.

Clara Arnaud a 37 ans.

« Et vous passerez comme des vents fous » (un vers lumineux tiré du texte « Impromptu » du Poète Arménien Hovhanes Chiraz),   est son 5ème livre. Cette jeune femme a déjà beaucoup bourlingué à travers la planète, souvent seule, depuis l’âge de 17 ans. Le Québec, l’Irlande à Vélo, la Chine, le Kirghizistan, à pied ou à cheval, la République du Congo s’inscrivent à son tableau de marche. Titulaire d’un master à Sciences Po, Géographe, elle participe à des programmes de développement en Afrique ou au Honduras.

La guerre des ours, dans les Pyrénées est au centre de son livre. De tous temps, se sont affrontées dans des guerres pastorales, bergers gardant leurs brebis dans les estives, et défenseurs des ours, de leur écosystème, de leur mode de vie. De tous temps mais plus encore ces dernières années, où les antis ours (bien décidés à s’en débarrasser), et les écolos et les pro ours participant à des programmes de réintroduction des espèces menacées en voie de disparition, s’affrontent avec violence à travers deux visions   opposées et irréconciliables, dont les arguments cependant sont parfaitement recevables des deux côtés. Si pendant longtemps les bergers acceptaient la présence des ours au prix de quelques brebis égorgées, la coexistence plus ou moins pacifique a désormais bien disparu.

C’est la trame de ce livre formidable.

Nous assistons à deux représentations si différentes, de la nature, de la vie pastorale, du respect de l’animalité et de la volonté de maintenir puis de réenrichir la biosphère.

Alma est une jeune éthologue, qui vient défendre dans les Pyrénées non seulement un programme de réintroduction de cette espèce menacée, mais surtout comme éthologue, étudier de façon novatrice le comportement des ours, comprendre pourquoi, comment surviennent des attaques sanguinaires de troupeaux, analyser avec finesse les relations avec l’habitat et leur progéniture. Beaucoup de temps passé dans une montagne aride, à l’affût pendant des heures, à guetter le moindre indice sur cet animal qui se fond avec dextérité et intelligence, dans son habitat rocailleux, mais bouleversé par la sécheresse et le dérèglement climatique.   

Gaspard, lui, est berger, marié, papa de deux petites filles, et s’en va faire seul la transhumance, avec un troupeau regroupant les cheptels de plusieurs bergers, pas moins de 500 brebis, de plus en plus haut, dans des estives toujours plus difficilement accessibles. Défenseur de ses brebis, bien sûr, mais aussi respectueux des ours, si souvent hostiles.

Le troisième focus se fait sur Jules, qui au siècle dernier, quitta ses Pyrénées natales pour partir en Amérique, avec son ourse, (capturée bébé dans une scène magistrale, digne des meilleurs thrillers) pour y faire fortune comme montreur d’ours. Ça marchait bien à l’époque ! C’est la juxtaposition de ces trois récits, parfaitement bien entrelacés, qui compose cette fresque magnifique.

Clara Arnaud sait manifestement de quoi elle parle, faisant corps avec cette région des Pyrénées Centrales, imprégnée    de ses us et coutumes, de ses archaïsmes qui n’en sont plus forcément aujourd’hui, apte à en deviner les odeurs, les couleurs et les sons, au point pourrait-on dire d’être elle-même devenue, bergère. Ou brebis ! Gaspard a fui la ville, et son activité de paysagiste, pour se mêler aux montagnes, où garder, s’occuper des brebis, les aimer, les connaitre, les voir vivre est devenu une seconde peau. En arrière-plan un drame survenu l’année précédente se dévoilera peu à peu, densifiant encore la dramaturgie de l’histoire.

Le livre est… passionnant, somptueux. Il est … beau.  il résonne aux sons des clochettes, du vent, des aboiements des patous, ces terribles et efficaces chiens de garde, et de Luna la chienne, l’écriture est d’un style, d’un éclat  et d’une poésie splendide, j’ai aimé lire et relire certains passages, les gouter, et me projeter dans ces estives. Ce n’est pas du Giono. C’est vraiment autre chose, naturaliste mais sociétal, bucolique mais politique.

Pour ceux qui la connaissent, j’ai pensé à l’écrivaine Québécoise Gabrielle Filteau-Chiba qui dépeint si bien la forêt et son monde dans « Sauvagines. » Mais aussi, quelquefois,  à l’esprit de Baptiste Morizot.

L’histoire est   terrible, tragique, politique, lorsque l’on voit Alma, « la salope aux ours » comme il est tagué sur sa voiture, se démener seule dans un temps imparti pour fournir des informations et un rapport, sur l’habitus des ours, les conflits avec son organisme d’étude pris en tenaille entre la nécessité de réintroduire une espèce pour ne pas la voir disparaitre et une population farouchement décidée à s’en débarrasser. On apprend beaucoup de choses, sur ce monde seulement évoqué habituellement dans les faits divers. La vie est souvent nuance, pas seulement bloc contre bloc.

On comprend enfin la dureté d’un travail choisi, loin d’une société envahie par le numérique et la surconsommation, et où l’on garde encore quelques valeurs de l’humain. Nous sommes ici aux antipodes du Sylvain Tesson des « Forêts de Sibérie » qui organise sa solitude pendant 6 mois dans un univers   nécessairement hostile, pour y provoquer   images et  source d’inspiration.

C’est aussi , me semble t il, un livre très terrestre et très Terrien, de par l’infini respect  de son autrice à notre Monde , dans sa bigarrure, sa richesse, sa multiplicité, un livre où l’on marche beaucoup, mais où l’on sait s’arrêter le temps qu’il faut,  pour regarder, épier, autour de soi, la vie, l’infiniment petit comme  la beauté de la nuit où se découpent avec majesté la crète des montagnes, où l’on se surprend à lever les yeux  vers les sommets, comme si c’était l’évidence de voir se dessiner les monts,  obscurs, secrets, imprévisibles, éclatants de beauté juste au-dessus de nos têtes. La montagne. Ses bouquetins autrement plus agiles et graciles que nous, en fusion avec la roche et virevoltant, avec grâce, survolant les précipices, métaphore de nos vies. Mais aussi et enfin, la Montagne, cruelle, qui ne rend pas de compte, prend, et n’a rien à justifier.

Et une envie, celle de découvrir les précédents livres de Clara Arnaud, « la Verticale du fleuve » et sur « les chemins de Chine ». 

Humainement et Naturellement recommandé.

On a forcément envie d’en savoir davanatge!

Son passage à La Grande librairie:

https://youtu.be/AkcnvC_Qe2A?si=6cGH86WhmWwUUCw_

et…

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