Création et Rédemption : « le dernier  » Alexandre Dumas  

La grande Révolution vue par Alexandre DUMAS – Sa dernière oeuvre restructurée en 3 parties- Où l’Histoire rejoint l’actualité et notre monde d’aujourdhui

CREATION ET REDEMPTION 

Alexandre Dumas 1104 pages 

Editions Folio

Fin de repas.  Ou presque. Entre la poire et le fromage disons. Là où le vin aidant,  les langues claquent et se délient. 

  • Bon les amis, dites nous, que lisez vous en ce moment ? ( on est une bande de potes on lit tous beaucoup. Accros à la lecture je vous dis ! )
  • ahah moi c’est le dernier Grimaldi! Je suis fan. Il est vraiment Top!
  • Moi je préfère, et de loin… le Da Costa , son dernier c’est la pépite des pépites. Bien au dessus de ses précédents.
  • Et toi J? Ah non les amis tout ça, pour moi, c’est vraiment de la daube ! Moi c’est le dernier Zeniter. Vraiment , son livre sur la Caledonie, c’est son dernier et son meilleur.
  • Non rugit S. , moi j’attends le dernier Gaël Faye depuis 7 ans, alors tu vois un peu, c’est le dernier avant le prochain. Après, j’ai le dernier Kamel Daoud, donc , j’ai de la matière, de l’épaisseur.
  • Et toi P. Tu dis rien? Tu ne lis plus peut-être? (Rires… ils connaissent tous et toutes mon addiction à la lecture!) J’hésite un peu. Dans un chuchotement amusé, comme si je leur confiais un secret …. Et bien pour ma part , les amis , je lis le dernier Alexandre Dumas ! ( rires…gloussements… puis silence , vaguement ironique ….on attend que je m’explique, forcément!!) 
  • Ah bon, il a sorti un bouquin d’outre-tombe ?? Rires…

Halte à la tyrannie de la nouveauté

Et me voilà parti!

450 livres publiés en Septembre. Des bons sans doute, pas trop, pas beaucoup non plus, des livres aussitôt lus aussitôt oubliés. Qu’est ce qu’il en reste des années plus tard ?

Tandis que Dumas, le grand Dumas ? Non non, ce n’est pas de la littérature jeunesse, non non, le Comte de Monte-Cristo, ( plutôt bien adapté récemment au cinéma d’ailleurs ) le collier de la Reine, Joseph Balsamo, ce n’est pas (que) pour l’école, les Trois Mousquetaires , Vingt ans après non plus . 

Hugo complice de Dumas pendant 50 ans, disant de son ami, « Alexandre Dumas est un de ces hommes qu’on peut appeler des semeurs de civilisation, il féconde les âmes, les cerveaux, les intelligences; il crée la soif de lire «

 Encensé par Michelet qui disait de lui “ vous avez plus appris l’histoire au peuple que tous les historiens réunis” et Georges Sand confiant à sa mort « il était le génie de la vie, il n’a pas senti sa mort », Dumas, l’illustre, dont les cendres reposent au Panthéon depuis 2002 date du bicentenaire de sa naissance.

Et bien oui! “Création et Rédemption” c’est son dernier! son dernier chef d’œuvre, manuscrit oublié, ressorti par Gallimard en Folio, recomposé à l’idée initiale du maître, en trois parties, 1000 pages, un formidable voyage dans la Révolution Française. A l’époque, quelle chance, les romans étaient publiés en format feuilleton, en 1870 pour ce roman ci dans le quotidien « le Siècle ». Un feuilleton correspondait à un chapitre et demi, soit une à deux pages de 6 colonnes chacune. Les veinards. Il fallait impérativement attendre le journal du lendemain pour lire la suite. L’impatience était imparable. Imaginez aujourd’hui, où les journaux papier ont quasiment disparu et les feuilletons avec, s’il fallait faire de même. Les séries de maintenant, sur les plate formes, sont disponibles d’emblée pour une saison entière, que vous pouvez si bon vous semble, avaler en une nuit. C’est le but. Ne pas laisser mariner le spectateur, l’engloutir d’images pour le faire passer au plus tôt à une série suivante. Carnage et désespoir! On carbonise l’attente, on brûle la patience .

Ce Dumas là est à l’image de ce que le maître a proposé toute sa vie, plus de 300 volumes, mémoires, articles et journaux, travail de titan.

“Création et Rédemption “ n’échappe pas à la règle. Dicté, pour la majeure partie de l’œuvre, car Dumas était à la fin de sa vie atteint de tremblements qui l’empêchaient d’écrire par lui même , l’histoire court malgré tout sur plus de 1000 pages. On a du mal à décrocher tant nous sommes emportés dans un flot d’aventures et de personnages. Un tryptique habilement reconstitué.

Jacques Merey est médecin en 1785, dans le petit village d’Argenton. Un médecin pas banal, attiré par la science , l’alchimie et les théories sur le magnétisme de Messmer. Il soigne les pauvres , refuse d’intervenir chez l’arrogant châtelain du coin. Ses théories porteuses d’innovations et de succès, lui font une renommée aussi brillante que contestée par la vieille garde qui voit là un confrère dangereux, un adversaire concurrent . Jacques Merey recueille une jeune adolescente, Eva, abandonnée chez un couple de bûcherons par le Chatelain, car jugée très tôt, idiote. Jacques la prend sous son aile , va l’aider, stimuler ses sens, son intelligence qui ne sont qu’en sommeil, initier sa personnalité . C’est le premier tiers du livre. Sa relation étroite avec l’enfant, son obstination à en faire une adulte responsable est passionnante, tout comme l’éveil progressif à l’appel de l’existence. L’humanité et la perspicacité du médecin ( et donc de Dumas lui même) sont saisissantes.

Mais Jacques va devoir abandonner sa tâche, car désigné pour représenter Argenton à Paris, comme député de la Convention. Ami de Danton, dont il est proche, politiquement et affectivement. Tout le deuxième tiers du livre nous fait vivre comme si nous y étions, la Révolution, puis la Terreur . C’est passionnant. Les dialogues tirés au cordeau, le rythme soutenu, le lecteur devient témoin anonyme de l’époque, des débats sans fin, des luttes d’influence entre Danton, Marat, Camille Desmoulin , Robespierre et tous les autres protagonistes. L’histoire se déploie, épique, sous nos yeux, la barbarie de la guillotine aussi. Les guillotineurs d’hier deviennent ceux de demain, les têtes tombent et roulent, sans distinction de parti. On sent bien que Jacques Merey, républicain avant tout mais hostile à la peine de mort, c’est Dumas lui même. Ce tiers du livre fascine , enveloppe le lecteur, l’emporte dans les méandres de la petite comme de la grande histoire. Même si on aimerait parfois voir retomber la mousse du tumulte de l’assemblée pour s’intéresser davantage à l’histoire politique, aux courants, aux débats, aux textes fondateurs. Mais ce n’est pas là la volonté de l’auteur. 

Le troisième tiers , aussi romanesque que romantique, voit le Dr Jacques Merey revenir à Argenton et retrouver une Eva devenue aussi belle que désirable, aussi aimante qu’amoureuse. Impossible de tout dévoiler.

Le livre a été publié la même année que le « Quatre Vingt Treize «  d’Hugo. Paru en 1872 en deux parties, davantage pour des raisons pratiques, il est ressorti récemment en édition Folio dans une version définitive et se déploie en 3 parties ce qui était semble-t-il le souhait de l’auteur.

Ça marche à merveille. On est immergé dans ce magnifique et foisonnant roman. La qualité de la langue française fascine, on mesure à quel point en deux siècles, autant la syntaxe que le vocabulaire, les tournures et la construction des phrases se sont délitées et appauvries. À chaque page, Dumas embellit, anoblit la langue , en extrait de façon vivante et prodigieuse ce qu’il y a de plus beau et pur. Si l’on savait écrire à l’époque, on savait aussi parler.

C’est un livre magnifique, comme tout ce qu’Alexandre Dumas a su écrire, un génie de notre littérature, à l’instar d’Hugo, Zola ou Balzac, un temps où l’on était certain en ouvrant un livre d’être emporté, respecté, instruit.

Dans ce tryptique, le titre m’intéresse. «  Création et Rédemption«  : Je m’interroge sur le sens . Création . Oui c’est celle de la naissance ou de la renaissance d’Eva. Pas de doute possible. Mais la rédemption : je suppose que c’est celle de Jacques ? En quoi l’avons nous vu pêcher? Quelle faute a-t-il donc pu commettre ? Est ce sa relation à Eva? Est ce sa position politique lors de la convention ?

Le livre passionne parce qu’il est actuel, la Révolution Française a fait le lit de ce que nous vivons encore aujourd’hui, dans les débats qu’elle pose sur la République, la citoyenneté, la laïcité, le vivre ensemble, même si, et c’est heureux, le couperet de la guillotine a disparu ! Sinon il ne resterait plus grand monde.

Je suis aussi surpris qu’il n’y ait pas de grand film sur la Révolution Française, hormis celui de Robert Enrico qui date d’au mois 15 ans. Peut-être en connaissez vous d’autres ?

J’espère avoir convaincu mes amis de table , et vous aussi amis lecteurs avec qui j’aime tant partager mes lectures, de replonger de temps en temps, dans ce que la littérature a de plus beau à nous offrir. Et de ne pas nous essouffler à courir systématiquement après les nouveautés du moment.

Parce qu’à l’écran Dumas c’est bien, mais à l’écrit c’est cent fois mieux.

En terminant ce livre, une question lancinante me taraude : que lire maintenant? 

Peut-être « Quatre Vingt Treize « , le dernier livre d’Hugo ?

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