

Je n’ai pas aimé.
Pas aimé au sens où ce livre ne m’a pas plu.
Oh bien sûr je, ne vais pas dire que c’est un mauvais livre, loin de moi cette idée. Emmanuel Carrère est un excellent écrivain. J’ai aimé « Limonov », « le Royaume » ou « la Classe de Neige ».
Mais là, vraiment, ce livre-là me pèse sur l’estomac.
Comme un pudding pas frais. Ce livre m’a mis mal à l’aise, m’a laissé un gout rance dans la bouche, j’avais une seule urgence, le finir. Comme si j’étais dans une émission type « Faites entrer l’accusé », ou un mauvais article dans le non moins mauvais Magazine « Détective ». Enfin, j’imagine, je n’ai jamais regardé ou lu. Du voyeurisme à trois sous. J’ai hâte de l’oublier.
Chacun connait l’histoire, même sans avoir lu le livre. Jean Claude Romand a mené pendant 18 ans une double vie, pour la galerie humaine le médecin, le chercheur à l’OMS, le père de famille irréprochable, le gentil avec tout le monde. Coté pile. Coté face, un être absent, vide, passant ses journées sur des aires d’autoroute, détournant l’argent de sa famille et de ses amis pour entretenir un train de vie, sans scrupules, se payer à bas coûts une histoire de vie étrangère à la sienne. Un double jeu. Une sorte de Dr Jekyll et Mr Hyde, glauque et mou. Comme si une fausse personnalité pouvait s’acheter. Ou dans son cas se monnayer. Avec l’issue dramatique que l’on connait tous, le meurtre barbare de sa femme, de ses enfants, de ses parents, comme si sa renaissance devait passer par le feu, l’incendie, la mort violente. Des détraqués, des tordus de la vie, des pervers et des meurtriers de toute sorte j’en ai lu, j’en ai vu, des psychopathes des névrosés j’en ai connu. Mais avec lui, cette histoire ne passe pas.
C’est difficile d’expliquer pourquoi je n’aime pas ce livre. Ce personnage est un être, moyen, truqueur. Il porte la duplicité et le mensonge à son comble. Il détruit à vie des dizaines de proches. Mais c’est une telle apologie du mensonge que je m’interroge moi-même pour savoir pourquoi ce livre m’a tellement mis mal à l’aise ? On commet tous des petits mensonges dans sa vie, est-ce cela qui m’importune et me fit sentir mes propres lignes d’ombre ? On se raconte des histoires, on s’approprie des éclats de vies, des sentiments, des situations que l’on orchestre, on s’arrange un peu soi-même avec la réalité. Qui ne l’a pas fait un jour ? est-ce cela qui me perturbe tant parce que cela me renvoie à mes propres failles, mes propres faiblesses, le sentiment qu’on est souvent, allez, quelque fois un être inexact, pas tout à fait l’image que l’on se donne et que l’on voudrait réellement renvoyer aux autres ? Un peu de tout ça sans doute.
Ce qui m’a le plus gêné c’est de ne jamais savoir pourquoi Emmanuel Carrère a pu s’intéresser à un tel fait divers, il ne le dit jamais, au point de se retrouver au fond ensorcelé par ce personnage, médiocre au point de s’être inventé une vie, une conduite.
Est-ce pour lui un bon personnage de roman ? Il ne nous le dit pas, même pas dans ses dernières lignes où on le sent presque gêné de ne pas répondre aux questions silencieuses du lecteur, plutôt presque touché par la réhabilitation que Roman cherche à faire de lui-même, à exploiter son comportement meurtrier, abject, pour se requinquer d’une virginité adoubée par ses visiteurs de prison, au point de presque devenir une icone catholique. Qu’est ce qui a pu séduire Emmanuel Carrère, flirter lui-même avec ses propres zones de fuite ? Je n’ai aimé ni l’écriture sèche, ni la façon dont il raconte les faits, ni son absence de tout jugement, ni l’oubli progressif et régressif des vies disparues, des enfants, des parents, de l’épouse. L’empathie n’y est jamais. Où sont-ils passés ? Ni son choix, hésitant tout de même pendant 3 ans, de raconter, la transcription froide, j’ai envie de dire maladroite, des faits m’a terriblement gêné. Où est-il Carrère, qu’est-ce qu’il en fait pour lui-même, et pour le lecteur, de cette histoire qui finit par lui coller à la peau. Mais qu’est-ce qui a pu le toucher dans l’histoire pathétique de cet imposteur ? Le sait il lui-même ? Qu’est-ce qu’une histoire pareille peut apporter au lecteur ? Ce livre m’a oppressé, physiquement. Je n’ai aimé, ni la forme, ni le fond.
Je suis malgré moi allé voir ce que Romand était devenu, il est sorti de prison au bout de 26 ans, a passé deux ans dans un monastère sous surveillance, et vit désormais discrètement dans un petit village. Seul.
Peut-il y avoir une rédemption pour ce genre d’individu ? A mon sens non. Mais Carrère ne suggère-t-il pas que oui, peut-être ? Est-ce que cette histoire sert de révélateur à nos propres petitesses ?
« En roulant vers Paris pour me mettre au travail, je ne voyais plus de mystère dans sa longue imposture, seulement un pauvre mélange d’aveuglement, de détresse et de lâcheté. Ce qui se passait dans sa tête au long de ces heures vides étirées sur des aires d’autoroute ou des parkings de cafétéria, je le savais, je l’avais connu à ma façon et ce n’était plus mon affaire. Mais ce qui se passe dans son cœur maintenant, aux heures nocturnes où il veille pour prier ? (…) Le témoignage écrit à l’instigation de Bernard (le visiteur de prison) restait ouvert, en revanche sur ma table. Dans sa langue de bois catholique, je le trouvais, lui, réellement mystérieux. Au sens mathématique : indécidable.
Qu’il ne joue pas la comédie pour les autres j’en suis sûr, mais est ce que le menteur qui est en lui ne la lui joue pas ? Quand le Christ vient dans son cœur, quand la certitude d’être aimé malgré tout fait couler sur ses joues des larmes de joie, est ce que ce n’est pas encore l’Adversaire qui le trompe ?
J’ai pensé qu’écrire cette histoire ne pouvait être qu’un crime ou une prière. «
Pour moi, ce n’est ni l’un ni l’autre. Je trouve qu’Emmanuel Carrère s’est fourvoyé dans cette histoire. Il n’y a aucun équilibre dans sa manière de relater les faits, et le retour de balancier toujours vers Romand, m’a déplu. Je trouve qu’il n’y a rien à sauver. Cette histoire restera vide de sens pour moi. De la boue, pas plus.
J’avais tellement hâte de quitter cet univers, d’oublier cette histoire, que j’ai pris au hasard, le premier livre venu, posé sur une étagère de ma bibliothèque. « Une bête au paradis » de Cécile Coulon. Vous croyez au hasard vous ?
Emmanuel Carrère : l’adversaire
Editions Folio 220 pages