



Cher François,
J’avais aimé « Amour », votre dernier roman, j’avais aimé « Boniments » et « Histoire de ta Bêtise », j’aime « Psychologies » votre dernier essai. Sans doute suis-je devenu avec le temps un peu « Begaudien », bien que le mot aimer ne veuille pas dire grand-chose, et ce, même si votre livre est une analyse sans concessions de nos propres affects.
Disons que ce que vous dites et écrivez, me va bien, m’aide à me connaitre et me comprendre (un peu !) à me réconcilier avec moi-même, à comprendre mieux mes réactions et le monde de merde dans lequel on vit. (Désolé, je n’ai pas trouvé de synonyme plus inspirant). Ce n’est pas beaucoup, mais c’est déjà pas mal. Ça me canalise dans mes horreurs de la technologie, de l’informatique, du numérique, du smartphone, de la BU (la Bêtise Universelle), en résumé du capitalisme. Il me montre qu’il y a encore des gens qui analysent, partiellement protégés des agressions mentales permanentes, des rôles, des apparences et du spectacle, qui comprennent et devinent les pièges et ne sont pas encore corrompus par Chat GPT. Des gars qui réfléchissent autrement que devant leur miroir. C’est pas mal déjà, comme forme de résistance.
Pour ceux qui ne vous connaissent pas, et il y en a autour de moi, vous êtes un Nantais de 54 ans, écrivain, scénariste, chanteur et vous avez été primé en 2008 comme scénariste du film » entre les murs » à Cannes, votre fait d’armes le plus connu.
« Psychologies « est un recueil de fragments de vie, une sorte de livre impressionniste, politique (beaucoup), sociologique (vous le revendiquez) et psychologique puisqu’il vous pousse ainsi que le lecteur à une introspection forcée, avec un côté pamphlétaire, mais sans avoir besoin de pousser le trait.
Vous aimez Nathalie Sarraute, mais j’ai plutôt pensé à Perec en vous lisant, celui de « La Vie Mode d’emploi » entre autres, qui aurait aussi pu titrer votre livre. Vous façonnez vos histoires en explorant les détails de scènes et de personnages actuels, en grattant le vernis et en écartant les bords de la plaie pour nous faire pénétrer dans un vaste monde de réflexions sur soi, sur vous, sur la société, les médias, les enfants, les hommes politiques en vadrouille dans les écoles, dans les scènes banales de la vie, la perturbation du lecteur pénard que vous croyez être dans un train lorsqu’une maman s’installe avec une petite fille bruyante sur le siège avant, vous forçant à l’auto analyse de votre crispation du moment , ou que vous aidez une maman voilée à monter la poussette de son bébé au bas d’un escalier de métro, ou qu’un caissier de supermarché vous hérisse le poil en s’en prenant à un voleur de bière, vous crevez l’abcès du conformisme du Parti Socialiste ou la bêtise d’une essayiste dans un dîner mondain. Ce n’est pas tout bien sûr. Parce que le décapage au vitriol de ces scènes (ce n’est pas un vain mot pour une fois !) vous pousse à l’introspection sur tout ce que ces faits de société déchaînent en vous, et donc chez le lecteur que je suis. J’ai pensé à plein de gens en vous lisant, certains noms ne vous feront peut-être pas plaisir, mais vos analyses caustiques et moqueuses m’ont évoqué Gilles Deleuze dans l’analyse des concepts, David Graeber plutôt que Bourdieu, Joseph Pontus pour la narration, et désolé, pour moi qui suis un poil plus âgé que vous plutôt Vaneigem que Debord pour le trait, refuserez-vous l’influence des situs, dont vous êtes à mon sens un des derniers héritiers ? Désolé c’est lâché, on a déjà dû vous la faire, mais rassurez-vous au final, vous faites du Begaudeau qui dézingue à l’arme-plume. J’aime votre définition de l’anar (de droite comme se définit Pascal Praud), qui « comme l’indique la morphologie syllabique, est un anarchiste divisé par deux. Il veut la liberté pour ses semblables et le fouet pour leurs subalternes. » Ça a bien fait marrer des copains. C’est violent, féroce, étincelant, vous avez un incroyable sens de la formule, vos analyses sont à mon sens irréfutables et si certains vous décrivent suffisant ou arrogant, pour moi vous ne l’êtes pas, ou en tous cas vous avez le poil et demi de distance pour surplomber, évaluer, décortiquer ce que vous analysez.
Vous savez quoi ? qu’est-ce que ça fait du bien de vous lire
et je dis ça aussi pour encourager sur les réseaux sociaux dont je fais un peu partie, mes amis, à vous découvrir. Un essai littéraire ce n’est pas si fréquent. Ça fait vachement plaisir. L’observation de nos affects est pertinente à souhait, vous allez mettre les rieurs de votre côté, même si après coup, en refermant un chapitre, on se gratte le menton en se disant que c’est un peu aussi de nous dont vous parlez. Et vous moquez. Les gens qui vous critiquent et vous caricaturent sont souvent des esprits chagrins jalousant votre talent et votre plume. La muflerie vous horripile vous qui « vous piquez d‘une certaine plasticité sociale, de relations hétéroclites, d’une circulation transclasse. « J’ai, nous dites-vous, la prétention en partie fondée de parler à n’importe qui de n’importe quoi. Mais être à l’aise avec des punks à chien et des marchands d’art ne signifie pas qu’on leur soit homogène. «
En quelques lignes vous faites la peau aux électeurs RN lorsque vous écrivez que. » la victoire intensifie les festivités électorales mais elle est optionnelle, superflue. Si elle advient, elle est un aboutissement, une apothéose, mais pas un préalable, pas la condition d’une politique. Le supporter du RN se fout royalement du programme pour lequel on l’imagine voter. Il n’a pas jeté le début d’un œil sur la politique concrète menée par Melloni à deux pas d’ici. D’un parti raciste il n’attend pas une batterie de mesures ou des réformes de nature à améliorer son ordinaire. Il n’en attend que d’être une chambre d’écho et d’amplification à son racisme quotidien et inoffensif. Pour lui le RN n’est ni un levier, ni un projet, mais un ami imaginaire, une présence qui apaise. Une cellule de soutien psychologique quotidienne. Les journées laborieuses au moins allégées par ce petit soleil dans sa tête, cette lueur d’espoir désespéré. « On l’a compris, la cousinade avec Alain Duhamel n’est pas pour demain. Et si vous souhaitez depuis longtemps faire voler en éclat les œillères des libéraux et des suppôts du capitalisme, vous le faites avec pertinence lorsque vous rappelez que
» la psychologie d’un fait social est une stratégie libérale ».
Elle revient à individualiser l’analyse, donc à la dépolitiser. Elle laisse supposer qu’un ouvrier chute d’un échafaudage, non parce qu’il a hâté une manœuvre pour tenir les délais injouables, mais parce qu’il est maladroit ou porteur d’un gène de l’imprudence. Si un soir tu es tenté de te tirer une balle ce n’est pas à cause des intérêts pris par ta banque sur ton découvert, mais parce qu’il y a en toi une disposition suicidaire sans doute liée à ta vie utérine que tu exploreras sur un divan et non aux prud’hommes. » Vous avez mille fois raison.
Rassurez-vous, le capitalisme n’est pas encore vaincu, ce n’est pas demain que vous êtes dans la panade. Enfin, je ne peux pas m’étaler sur tous ces fragments épars qui constituent votre livre, mais j’ai été touché par le chapitre « je n’aime pas parler aux enfants. » Touché et surpris aussi. Parce que toutes ces années où vous avez été prof, vos élèves étaient un peu vos enfants et je suis sûr qu’ils doivent se rappeler de l’enseignant que vous étiez, même s’ils étaient sans doute un peu plus âgés que les 9-10 ans que vous semblez affronter. Vous dites « c’est l’anarchiste en moi, rescapé d’une enfance de vieux con, qui se crispe quand je parle à un enfant. L’anarchiste en moi se méfie à priori de l’ordre existant, l’enfant le valide a priori. L’enfant me crispe en tant qu’ adversaire idéologique. « Peut-être parce que les enfants nous désarçonnent facilement d’un regard, d’une phrase spontanée, d’une sincérité absolue. Et que ça vous fait peur. Non, on n’est pas au théâtre avec les enfants, on est plutôt dans une forme de franchise intégrale, les enfants ne jouent pas de rôle. Ils sont eux, c’est tout.
Il y a bien des choses dans votre livre qui prêteraient à débat. Je vais partager ma chronique sur un forum de littérature, où on est cependant plus roman (de qualité) que essai. Mais en tout cas le vôtre, pour le passionné de rugby que je suis, est vraiment transformé. Pour moi qui travaille dans le soin depuis 40 ans, (je préfère rester dans le vague) et qui suis un peu comme vous, une sorte d’entomologiste respectueux pour les personnes mais sévère pour les institutions, je puise dans votre ouvrage d’autres outils pour améliorer ma relation à l’autre. J’espère que c’est aussi cela que vous aviez en tête. Nous faire réfléchir pour faire les bons choix, et « cent fois sur le métier remettre son ouvrage » pour citer un autre polémiste. Le petit reproche que je vous ferai c’est votre côté un peu citadin pour moi qui suis un rural des Cévennes, mais je vais suggérer à mon libraire de vous inviter dans nos montagnes pour venir faire votre promo.
Je vous laisse pour aller chez lui justement acheter deux opus de plus de votre « Psychologies « et les offrir à des copains. Ne soyez pas déçu si je ne vous laisse, ni mon 06, ni le lien vers mon blog (à paraître), je ne voudrais pas que vous me harceliez de remerciements.
Encore merci. Bien à vous.
Francois BEGAUDEAU
Psychologies
Editions Amsterdam
258 pages