Frédéric Lenoir: Le Rêve de Marc Aurèle

Parfois le choix d’un livre tient à pas grand-chose, un hasard.  Ou le retard d’un train par exemple. Dans mon cas un TGV annoncé avec une heure 40 de retard, et un seul point de rendez-vous pour patienter, un RELAY à peine chauffé. Sur les étagères, les dernières nouveautés qui s’amoncèlent, souvent des rayons mal agencés, des piles du dernier Olivier de Kersauson et ses souvenirs maritimes qui flirtent avec les derniers Guillaume Museau publiés à raison de 3 ou 4 opus par année.

 Étranger à ces nouveautés, calé dans un coin, un seul exemplaire du dernier livre du Philosophe Frédéric LENOIR sur la vie de Marc Aurèle, l’empereur Romain. En voilà un qui me faisait de l’œil, et sans grande hésitation je l’achetai. Je connais assez bien l’œuvre de Fréderic Lenoir, philosophe médiatique mais intègre, qui truste sans peine les plateaux de télévision à la sortie de chacun de ses livres, donnant bonne conscience et visibilité à la Philo pour tous. Avec plus ou moins de bonheur. J’avais bien aimé deux de ses romans, « l’oracle Della Luna » et surtout « La Promesse de l’Ange « qui nous faisait découvrir la naissance du Mont Saint Michel, depuis Tombelaine jusqu’au surgissement de la Merveille, livre riche et argumenté, empli de références historiques, et fourmillant d’aventures.

Ses livres de philo sur Spinoza, surtout, mais aussi son périple sur les Chemins du sacré voire sur Carl Jung m’avaient interpellé. J’ai appris de lui sans faire trop d’efforts. J’aime moins certains aspects du personnage, sympathique par ailleurs, que j’ai pu écouter dans des conférences, habile faiseur de mots et d’idées qu’il sait très bien retranscrire, plutôt que créateur   de concepts, un peu gênant car ayant à mon sens au fil des années construit une sorte de « petit business » à la fois philosophique et spirituel, s’adressant davantage à une classe aisée qu’à un milieu modeste via des croisières à thèmes ou des retraites couteuses.  Mais bon, c’est   un   passeur de livres et de concepts philosophiques, il vulgarise très bien des auteurs dans lesquels je ne me serais pas replongé depuis ma lointaine terminale. Il rend surtout accessible, par des phrases simples,  aux grands concepts philosophiques, spirituels et de sagesses, occidentale comme orientale.

 Ce qu’il fait avec Marc Aurèle est dans cette lignée, c’est à dire pas mal du tout. Marc Aurèle est cet empereur romain (121- 180) qui a régné sur l’empire romain de 161 à 180 et dont la figure nous est moins étrangère depuis que nous l’avons découvert dans le Gladiator de Ridley Scott avec Russel Crowe, ou encore par sa statue équestre qui trône, imposante, sur la place du Capitole à Rome.   Une figure contrastée, qui a concilié toute sa vie, sa charge militaire et politique, ses objectifs, guerriers, expansionnistes, parfois et souvent, décidé à maintenir le grand empire romain, n’hésitant pas à utiliser tous les moyens de l’époque pour éliminer ses adversaires, et en même temps coupable de réflexions pertinentes , de sagesses philosophiques sur la vie, la mort, l’existence , sur la nature humaine, qu’il consignait dans de petits carnets, à son usage propre, écrits en Grec ancien qu’il possédait parfaitement, sans véritable chronologie ni organisation thématique, sans souci de publication ni  le souhait de  demeurer  dans l’histoire comme un sage stoïcien de cette période, carnets retrouvés plusieurs siècles après sa mort , au dixième siècle sous forme de manuscrits en mauvais état, composés de douze livres sans titre. C’est à la Renaissance, que ces carnets, recopiés, furent publiés, imprimés en 1559 en Suisse (il ne reste d’ailleurs qu’un seul manuscrit complet de cet ouvrage conservé au Vatican et c’est donc miraculeux que ce texte soit parvenu jusqu’à nous).   Depuis, sans cesse rééditées et lues, ces pensées de sagesse éternelle, impermanente, sont étudiées et méditées par des millions de personnes. Marc Aurèle, empereur malgré lui nous dit Lenoir, était un personnage contrasté qui n’a pas non plus radicalement transformé la société patriarcale de l’époque, se conformant aux règles, aux us et coutumes concernant l’esclavage, les jeux du cirque, (même s’il ne les aimait pas) la place des femmes , des concubines et des maitresses, mais tachant par petites touches d’arrondir les angles d’une époque violente, s’évertuant à maintenir un possible  statu quo social.  

Frédéric Lenoir fait un vrai travail d’érudit, divisant son livre en deux parties : la première, historique,  dans laquelle il décrit l’ascension de Marc Aurèle qui n’était pas nécessairement  appelé à devenir empereur, et qui probablement ne le souhaitait pas personnellement, tant il était attiré par l’étude des philosophes grecs, non plus tant il se sentait éloigné des velléités à gouverner et à faire la guerre, à trancher   les nœuds de discorde de la société de l’époque, à même de surveiller les éternels complots ourdis contre lui. Cette partie du livre est nécessaire pour comprendre l’évolution du personnage pour pénétrer dans une deuxième partie plus intéressante, dans laquelle Fréderic Lenoir très habilement, par thèmes, nous présente les maximes et les pensées de celui qui fut sans le vouloir, l’un des chefs de file du Stoïcisme. Par-là même, le philosophe nous fait mieux comprendre les différentes écoles de pensées, de l’épicurisme au stoïcisme, et nous voyons défiler et découvrir ce qui sépare Sénèque, Socrate, Platon, Épictète, et tous les penseurs gréco romains. Au-delà de ce parcours assez passionnant, le lecteur peut faire des haltes, et méditer sur des questions et des valeurs éternelles, la philosophie vécue par les Anciens comme un art de vivre, (les trois grands thèmes du stoïcisme, la physique, la logique et l’éthique), mais aussi selon Marc Aurèle « la vérité, la justice et la tempérance) , comment vivre en Philosophe ? « Seras tu droit ou redressé ? » ou encore « Recevoir sans fierté , perdre avec désintéressement »,  Aimer ou accepter son destin ?  « N’aimer uniquement que ce qui t’arrive et ce qui constitue la trame de ta vie. N’est-il rien en effet, qui ne convienne mieux ? Se tourner vers sa citadelle intérieure, « aujourd’hui j’ai désavoué tout embarras car il n’était pas hors de moi, mais en moi, dans mes opinions » et citant Épictète, « ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les jugements qu’ils portent sur les choses », Comment être citoyen du monde ?  « il ne s’agit plus du tout de discourir sur ce que doit être l’homme de bien, mais de l’être » ou encore , »les hommes sont faits les uns pour les autres ; instruis les donc ou supporte les », « passer chaque jour comme s’il était le dernier » ou encore « sois attentif à l’objet qui t’occupe, à ce que tu fais, à ce que tu penses, à ce que tu veux faire entendre », Quels exercices spirituels faire pour devenir plus sage ? ne pas craindre la mort,  avec cette formule lapidaire » tu t’es embarqué, tu as navigué, tu as accosté : débarque ! », ou encore Marcher sur les traces de  Dieu » Il te sera d’un grand secours de te souvenir des dieux, et te rappeler que ce qu’ils veulent, ce n’est pas d’être flattés, mais que tous les êtres raisonnables travaillent à leur ressembler. « Le Vrai bonheur ? « le bonheur de vivre dépend de très petites choses «.

 Par des chapitres courts, avec des citations finement choisies, on visite un grand livre de sagesse, et l’on s’arrête comme dans une flânerie philosophique, sur ces différents concepts que l’on peut et devrait appliquer à soi-même. N’ayez crainte, le livre est loin d’être « rasoir », bien au contraire il stimule nos questionnements propres, même si c’est à nous ensuite d’essayer tout au long de notre vie de trouver des réponses. Ce qui n’est pas le plus aisé.

J’ai trouvé ce livre dans la droite ligne « du Miracle Spinoza », une réflexion passionnante et utile, parce qu’il remet la philosophie là où elle n’aurait jamais dû cesser d’exister, au centre de la Cité. La vie politique actuelle, contemporaine, affligeante de bêtise et de vacuité dans sa pauvreté idéologique, nous montre à quels points nous avons régressé.

Fréderic Lenoir, s’il n’a jamais développé une philosophie spécifique, comme auteur, dessine néanmoins très bien sa pensée : « Tous ces courants de sagesse font le même constat de la misère et de l’ignorance de l’être humain, et proposent des remèdes pour guérir son âme malade. La philosophie a donc une visée essentiellement thérapeutique (comme pour les philosophies orientales, tel le bouddhisme qui se développe à peu près à la même période).

Cependant, nous dit l’auteur, les diagnostics sur les causes de la misère humaine différent :

Cette recherche de l’absence de trouble, de la sérénité, de la paix intérieure, quel que soit le nom qu’on lui donne-ataraxie, équanimité-est aussi un point commun de la plupart de ces courants de sagesse, qui proposent pour y parvenir, un changement de regard, de manière de pensée et de vivre. « Et citant Sénèque dans une lettre à Lucilius il rappelle : « jusqu’ici on t’arrachait ton temps ou on te le dérobait, ou encore tu l’égarais. Réunis ce capital et ne le laisse plus se perdre. Dis-toi bien que c’est vrai à la lettre : il est des instants qu’on nous arrache, il en est qu’on nous escamote, il en est aussi qui nous filent entre les doigts ; la perte à vrai dire, n’est jamais aussi sordide que lorsqu’elle est due à la négligence. Aussi bien, si tu veux bien voir les choses, la plus grande partie se passe à mal faire, une grande partie à ne rien faire et la totalité de la vie à faire autre chose que ce qu’il faudrait. « Voilà en quelques mots à quoi sert la philosophie.

Reprenant cette phrase fameuse de Voltaire, Frédéric Lenoir pose bien les questions existentielles de ce livre :

Je pense que la philosophie selon Frédéric Lenoir est cette cohabitation harmonieuse de tous ces courants de sagesse et de spiritualité, nobles et simples, qui se recoupent pour se réunir, se fondre dans un vaste et profond mode de vie et de pensées exigeantes. Je vais donc de ce pas non pas au Relay de la gare, mais à ma Librairie Indépendante, acquérir le livre complet des Pensées de Marc Aurèle. Faites comme moi ; vous ne perdrez pas votre temps.

Au final, j’ai béni la SNCF et le retard de ce TGV qui m’a permis de prendre conscience que j’étais sans le savoir Stoïcien et disciple de Marc Aurèle.

Merci Frédéric.

Le Rêve de Marc Aurele
Par Fréderic LENOIR
Ed Flammarion 267 Pages

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