
`Poètes, vos papiers !
Je m’interroge. Quelle place la poésie peut-elle donc encore avoir dans nos vies ? En a-t-elle seulement une ?
Lire un poème, c’est ralentir, c’est vivre la lenteur. On ne consomme pas de la poésie comme on peut le faire d’un livre.
On prend le temps. Ou bien, c’est plutôt le temps qui nous saisit, qui nous happe, qui nous emprisonne dans une cage dorée.
Pas possible de lire un poème dans le métro, dans le bus, dans un avion. Un train peut être ?
En marchant dans la forêt sûrement, alangui sur un banc, les yeux vagues perdus dans le lointain, rivés sur l’océan, certainement.
Pour moi, le banc est propice à la poésie. Je suis d’ailleurs sur un groupe de 217 personnes comme moi adeptes des bancs publics. On a les addictions qu’on peut. Heureusement ma femme est aussi addicte que moi. Avec une préférence pour les bancs en Ecosse, vous savez ces bancs flétris parfois, d’autres fois tricotés, épinglés d’une mince plaque en laiton avec dates de naissance et de mort du généreux donateur. Mais bien souvent, c’est un roman qu’on glisse en poche. On ne veut pas gaspiller du temps. Il nous faut avancer la lecture d’un récit en attente, le digérer, vite, vite, pour pouvoir passer à autre chose. Tandis qu’un poème, on va le lire, faire une pause à chaque strophe, sauf si c’est un haiku de Basho par exemple, là c’est bon, on le gobe mais on ne le digère pas pour autant, on le laisse infuser, s’il est vite expédié il nous revient, tel un boomerang, dans les yeux, les oreilles, alerte tous nos sens. Bien, bien me direz-vous, on voit que vous, vous avez le temps, pas loin de la retraite peut être, pas loin du temps choisi, pas du temps imposé, où il nous faut courir, préparer les repas, partir au boulot, récupérer les enfants et s’écrouler le soir épuisés par tout ce temps qui nous essore, nous étrangle, nous asphyxie, alors vous voyez, la poésie de la vie on n’est pas sur la même file, dans le même couloir. Pas sûr, il y a toujours la place pour un poème à se frayer un passage, et nous envoyer hors du temps présent justement. Et ne me dites pas que la poésie n’a pas sa place sur un forum de Littératures, faisons sauter les murs : les BD, les romans, les essais, la philo, la poésie elle est partout. Les mots, rien que les mots, toujours les mots, mais assemblés comme on veut, Haïkus imprévus, sonnets trébuchants, alexandrins souverains, sonnets enflammés, poésies en vers libres, acrostiches ingénieux, slams astucieux, rimes en vers et contre tout. Je vois d’ici les critiques, il y a des forums et des sites dédiés pour ça ! Je réponds, pas tant que ça, abattons les cloisons, ignorons les chapelles, faisons fête à l’écrit, quelle que soit sa forme, son origine, son époque.
Alors, je vous taquine les amis, on a tous des poétes dans nos lectures, ou bien on en a eu, dans nos lectures passées plutôt, à l’école ou au lycée, rédac obligatoire. Pour moi, ce sera Prévert « of course », Apollinaire peut être mais c’est loin, Éluard de temps à autre, Aragon en chansons, Victor Hugo mais là vraiment il faut du temps, tant de temps, Rimbaud mais le lit on vraiment, peut être en apprend-on quelques strophes histoire d’exercer sa mémoire. Il y a bien le Printemps des Poètes, mais c’est à quelle date déjà ?
Tout ça pour vous dire que je viens d’achever un petit recueil de Gabrielle Filteau -Chiba, « la Forêt barbelée ». Vous savez cette québécoise dont j’aime à parler si souvent, dont la formidable trilogie « Sauvagines » Encabanées » et « Bivouac » m’avait tellement touché. Et puis son dernier livre d’anticipation « Hexa » que j’ai chroniqué avec tant de plaisir et d’admiration mêlées. Que pouvait-elle faire d’autre pour grimper d’une marche vers le ciel si ce n’est publier, un recueil de poésie justement, colliger ses poèmes plutôt, parce qu’un poème j’imagine qu’on ne se met pas à sa table de travail pour se dire, bon alors aujourd’hui je commence un Recueil de poèmes ! C’est plutôt des fulgurances lyriques qui nous viennent, nous étreignent, un jour un poème, puis un mois plus tard un autre ou la nuit un réveil et vite on court à son bureau griffonner 3 vers, un sonnet, un alexandrin, un poème en vers libres, un Haiku.

« La foret barbelée » c’est splendide.
De plus, Cécile Coulon a écrit une préface…solaire, un vrai joyau. J’ai viré ma cuti en lisant ses phrases, je l’avais bien à tort cataloguée et placée dans une case qui n’est vraiment pas la sienne, trop jolie pour être honnête, trop « bimbo », quelle horreur, je me suis fait une de ses hontes je vous dis pas. Cécile Coulon écrit comme une Reine et sa préface va si bien à Gabrielle Filteau Chiba. Je crois qu’elles sont copines c’est dire. J’ai acheté un livre d’elle, « Une bête au paradis », je veux découvrir, et me délester de l’oripeau de mon machisme indécrottable, arrimé à ma peau. Malgré mes efforts, ça vous colle au corps ces réflexes archaïques.
« Dans la peur, dans le doute, dans la cuirasse que la poétesse revêt pour chasser le chasseur, il y a en cathédrale, la prière, évidente, sublime, qui me touche et m’émeut plus que je n’ose le dire, car cet appel c’est celui qu’on a dans le cœur et dans la bouche lorsque l’on fait partie de celles et ceux qui ont moins peur en forêt que dans le métro, de celles et ceux qui préfèrent le bruissement de feuilles mortes au raffut du traffic aérien, et qui savent rester des heures avec eux-mêmes, encabanées dans leurs corps et leur mémoire. La prière à la nature, à la nature d’amour, raconte une autre histoire : celle des peuples qui protègent plus qu’ils n’abiment, qui rendent hommage plus qu’ils n’avilissent, qui cachent plus qu’ils ne traquent. Les vers de ces poèmes sont saisissants de simplicité et de rage : la douceur est nourrie par le sentiment d’urgence, par la nécessité absolue de faire corps avec le paysage. Gabrielle Filteau-Chiba lui parle à cette forêt, à cette nature, elle la convoque, la supplie aussi. (…) L’œuvre est comme un tableau où les lignes bougent sans cesse à l’abri des regards des visiteurs : les couleurs sont vagues et multiples, les traits tirés et défaits en mille branches, terriers et nids, les personnages osent plus des ombres que des corps, menaçants, des ombres qui arrachent et salissent par le sang, des ombres qui vendent et retournent et tuent, l’autrice elle, le répète : je viens en paix »
Tout ça pour une remarque, tout ça pour une idée. Comment inverser la tendance ?
Et pourquoi pas un poème chaque mois, le recueil du mois, relire de la poésie n’est-ce pas s’arrêter, se concentrer, s’oublier, mettre en pause le flux de ses pensées, arpenter nos rêves, nos songes, s’isoler, repérer les mots, les accents, s’émouvoir en musique et cadence, et s’immerger dans l’autre dimension, une autre galaxie ?
Alors à quand le poème du mois sur chaque Groupe ou forum littéraire ?
Mon poème choisi dans ce très beau recueil, « La Forêt barbelée », qui ne parle pas qu’aux petits oiseaux, s’appelle « Doula »
Elle me raconte les déchirures
L’épisiotomie les protocoles les touchers
Le jeu de pouvoir la montre et la mort
Le risque d’être transférée
Femme je sais ta peur
Des docs armés de couteaux
Des chairs de brulure
Des hôpitaux
Et surtout l’impossible ouverture
Amie je sais derrière nous et la porte
L’enfer pavé d’interventions
Et la réconciliation nécessaire
Entre le personnel
Et nos temples
Sache que ton corps
N’en doute jamais au grand jamais
Est une montagne qui tremble
Forgée pour enfanter
Gabrielle FILTEAU-CHIBA: la forêt barbelée
Editons Pocket
Préface de Cécile COULON 105 pages
PS : et au passage, merci Léo !