Jean Michel Guenassia: le club des incorrigibles optimistes suivi des Terres Promises

1960. Paris. Michel Marini, 13 ans, sort peu à peu de l’enfance pour faire sa mue, et devenir un grand adolescent ou un jeune adulte. Il vit dans une famille complexe où s’affrontent plus qu’ils ne se complètent les Marini côté père et milieu ouvrier, aux Delaunay milieu bourgeois arrogant. Michel a un frère Franck qui jouera un grand rôle dans l’histoire, imprégné par les idées communistes du moment et une petite sœur Juliette. Nous allons suivre le destin de Michel, rêveur solitaire, déjà idéaliste, peu enclin aux études et davantage étourdi par le baby-foot, les copains et qui deviendra bien plus tard photographe de presse. Paris, la lecture compulsive, la musique et le Rock’n Roll qui commence à déferler en Europe, les disques vinyle.  Pendant que Franck, écartelé entre ses aspirations politiques et son amour pour Cécile, conduit Michel par ses décisions à tenir la chandelle, ami un peu avec chacun et au fond vraiment avec personne. Un jour il passe la porte de cet endroit mystérieux, dans le fond du café où il passe le plus clair de son temps à jouer, et y découvre, le Club des Incorrigibles Optimistes. C’est à partir de là, de ce moment où nous passons avec lui cette petite porte de la petite histoire pleine de banales anecdotes, que nous allons peu à peu, médusés, entrer dans la grande histoire des années 60. Dans ce club enfumé, se mêlent communauté de russes qui ont fuit le régime stalinien, incorrigibles joueurs d’échecs, aux parcours et au passé mystérieux, parfois trouble, souvent intolérable à porter,  Leonid désormais chauffeur de taxi roublard, Pavel diplomate tchèque , Igor médecin russe recherché par le KGB, , Sacha mystérieux retoucheur talentueux de photographies et tant d’autres apôtres de la Sainte Vodka! 

 les figures de Sartre écrivant ses textes dans le respect d’autrui, ( le maître pense, écrit, sur le bord d’une table de bar, mais il aide aussi de sa poche ces émigrés pauvrement échoués à Paris) , la figure de Kessel, aussi, très  présent,  tandis qu’agents  troubles et espions contribuent à donner une ambiance encore plus opaque. Va ainsi se déployer la grande histoire, au travers de ses vies d’hommes surtout,  et de rares femmes réduites à la portion congrue d’amoureuses. L’auteur a posé les pièces sur son propre échiquier, et va les déplacer au fil de son histoire, les faire avancer, battre en retraite, jouer, imaginer, souffrir et faire souffrir,  dans les palais ou les déserts de l’histoire, que sont la guerre d’Algérie et la décolonisation, ses enthousiasmes et ses affres, la Russie et la terreur Stalinienne avec les improbables allers retours de ses personnages, “l’Alya ” et l’émigration des Russes juifs vers les kibboutz israéliens.

Les 1500 pages de ces deux volumes se lisent aisément, et vite, les destins se mêlent,  se croisent puis se séparent,  les rebondissements y sont multiples et imprévisibles à l’image de l’âme humaine souvent passionnants  tant on voit par le judas de la petite histoire se déployer la peinture réaliste de ce qui porte en germe,  le monde dans lequel nous vivons, avec ses problèmes, ses haines et et ses rancœurs, ses problèmes insolubles que nous vivons encore et toujours. Russie opaque, Algérie confuse, Israël éclaté.

Je suis rentré dans cette histoire bien par hasard, les deux opus offerts par une amie lectrice qui connaît bien mes goûts, presque contraint de les lire puisque offerts,  un peu dépité par les 100 premiers pages que je trouvais très et trop sages, puis peu à peu accroché et même contaminé par la sincérité de l’auteur , Jean Michel Guenassia, fin connaisseur d’une époque qu’il a vécu et dont il a du être lui même une pièce maîtresse sur son propre échiquier, tant il en connaît manifestement les ressorts pour ne pas les dépeindre sans les avoir au moins touché du doigt. Le style, auquel je suis si sensible en littérature, assez scolaire au début,  s’arrange peu à peu,  pour investir l’histoire jusqu’à lui insuffler un souffle peu discutable, celui des épopées, des grands récits historiques et de ses héros.

Si la dernière partie du deuxième tome, “les Terres  promises”, suscite quelque interrogation et  incrédulité, (mais qui sait,  au fond, la vie se révèle parfois tellement étrange) , pour le lecteur que je suis,  qui aime tant qu’on lui raconte des histoires, je me décris comme, ému et captivé par ces destins de vie , qui se touchent et se contournent pour mieux se retrouver, animés dans l’ombre  par ces secrets de famille , ces non dits permanents qui façonnent les caractères des êtres  humains, les séparations absurdes et leurs retrouvailles inespérées.

Une belle fresque à mettre entre toutes les mains et tous les âges, les jeunes lecteurs lui ayant attribué en son temps le Prix Goncourt des Lycéens.

Incorrigiblement et “optimistement” recommandé! 

Rencontrons l’auteur, sympa!

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