Jennifer Lesieur: Les Amants nomades

 « Fanny et Robert Louis Stevenson »

La littérature Ecossaise est riche de grands auteurs, tout particulièrement depuis deux siècles. Sans remonter jusqu’à Walter Scott, de Conan Doyle à Alastair Gray, de A.J. Cronin, immense écrivain, à Kenneth White le plus contemporain et le plus novateur à mon sens, la littérature écossaise a de tous temps enchanté le lecteur que je suis. Robert Lewis Stevenson est sans doute le plus français des écrivains écossais (avec Kenneth White) puisqu’il est allé jusqu’à franciser son nom en Robert Louis Stevenson. Les lecteurs français, et tout particulièrement nous, habitants des Cévennes, le connaissons bien pour son livre emblématique « Voyage avec un âne dans les Cévennes ». Il s’inscrit dans une longue lignée d’écrivains voyageurs dont Jack London est l’emblème, mais aussi Alexandra David Neal, Nicolas Bouvier ou Sylvain Tesson à sa manière. Ça tombe bien, puisque Jennifer Lesieur, journaliste en charge des pages culturelles au quotidien Métro, intervenante au Festival « Étonnants Voyageurs » de Saint Malo créé par Michel Le Bris, est férue de cette littérature, au point d’avoir publié deux biographies remarquées sur Jack London et Alexandra David Neal.

Elle adopte ici un biais très différent pour nous faire découvrir la construction de la personnalité et de l’œuvre de Robert Louis Stevenson, sa relation amoureuse tumultueuse, volcanique, cassant les conventions de l’époque avec celle qui sera son épouse Fanny, de 10 ans plus âgée qu’elle. On apprend beaucoup sur la vie privée de Stevenson articulée autour de trois grands axes : sa santé, ses voyages, ses relations à son père Thomas et à sa femme Fanny.

Que connait-on encore aujourd’hui de cet auteur peut être passé de mode, si l’on excepte pour nous » habitants des Cévennes », son Voyage en Âne », livre référence des marcheurs qui chaque année tâchent de reproduire, avec ou sans mulet, le voyage initiatique de l’écrivain, arpentant le chemin de Stevenson ? Ah Modestine…

Certainement « l’Ile au trésor » ou le non moins fameux » Dr Jekyll et Mr Hyde ». A un degré moindre « le Maitre de Ballantrae » ou « la Flèche noire. » Il ne s’agit donc pas ici d’une biographie didactique, encore moins d’une analyse critique de de l’œuvre de l’auteur. Jennifer Lesieur approche de façon intime la personnalité de l’auteur depuis ses premiers écrits (vers 15-16 ans) et ses premiers émois, pour nous faire sentir comment et ce qu’il est devenu, habité par la dimension féministe de sa femme. Le livre insiste beaucoup sur la santé physique et défaillante de l’auteur qui tout au long de sa vie souffrira de problèmes pulmonaires chroniques, d’hémoptysies et de fièvres dont on se demande comment il a pu réchapper et survivre avec les traitements de l’époque. Sans doute a-t-il trouvé dans ses faiblesses un réservoir d’inspiration, et peut être son salut dans l’écriture de récits d’anticipation et de fictions autant pour adolescents que pour adultes, dans lesquelles il pouvait lui-même se transcender. Sa rencontre avec Fanny dont il tombera rapidement sous le charme, allant jusqu’à chercher une caution à son amour aux États Unis où elle est déjà mariée et mère de trois enfants, sera la chance de sa vie. Artiste elle-même, écrivaine et peintre, elle saura insuffler la part de romantisme propre à singulariser son travail, allant jusqu’à corriger, à réécrire certains passages ou à co-écrire certaines de ses œuvres.

Dont le manuscrit de « Dr Jekyll et Mr Hyde », il en brulera la première version avant d’en faire, grâce à Fanny une version définitive. Stevenson, nous dit Jennifer Lesieur « s’emparait enfin du thème qui n’avait jamais cessé de l’obséder : celui de la dualité de l’homme, d’un inconscient composé d’ombre et de lumière, plusieurs années avant que Freud ne publie ses travaux. Dans ce conte à l’ambiance gothique, même les lieux sont doubles ; l’intrigue se déroule à Londres mais rappelle fortement Édimbourg avec ses quartiers contrastés. Stevenson avait plongé dans les ténèbres qu’il n’avait cessé de sentir en lui pour le transposer au brave Docteur Jekyll, victorien modèle en apparence, torturé par ses pulsions. »

Et si finalement, la puissance créatrice de l’œuvre de Stevenson, ce n’était pas…Fanny ? Co créatrice, et à un degré moindre vers la fin de sa vie son beau-fils Lloyd , Jennifer Lesieur sème le  doute chez ses lecteurs…

Le troisième aspect du livre, ce sont les conventions sociales et victoriennes de l’époque, et notamment les relations de Robert avec son père, Thomas, bourgeois calviniste fortuné, ingénieur concepteur de phares qui mettra sa richesse au service de son fils, lui assurant une rente tout au long de sa vie. Stevenson par son mariage avec Fanny, divorcée, casse les conventions sociales de l’époque, encore davantage par l’irruption des enfants de Fanny, Lloyd en particulier, dans la vie de la famille Stevenson. Ne dévoilons pas tout.

Ce livre à l’écriture fluide, a l’avantage de ne pas être une œuvre didactique et universitaire faisant une biographie classique de l’auteur. Il en a aussi l’inconvénient, celui de survoler les grands œuvres de Robert, et donc de ne pas nous faire pénétrer dans l’épaisseur de ses écrits. Les Cévenols seront certainement déçus de ne lire qu’une demi-page sur le « Voyage en âne en Cévennes », qui aurait mérité mieux. S’il est un écrivain écossais qui a investi de sa géopoétique l’Ardèche et les Cévennes ce fut bien Kenneth White, dont l’œuvre est d’une immense beauté.  

Ce qui compte à la lecture d’un tel livre c’est ce que nous pouvons retenir de cet homme à la personnalité faible, rentier, d’une pâle « humanitude «, si ce n’est peut-être lors de ses années passées aux Iles Samoa où il saura prendre le pouls de ses habitants pour les soutenir contre l’impérialisme allemand de l’époque. Et y finir ses jours à 44 ans, jusqu’à y être enterré.

Avons-nous envie de nous plonger dans l’œuvre de Stevenson une fois le livre de Jennifer Lesieur terminé ? Pas sûr.

 Au final, Robert Stevenson on l’a compris, ce n’est pas Jack London, il n’en a ni le charisme ni le génie, ni la force d’âme, et s’il fut voyageur il ne fut guère aventurier et donc enclin à nous faire rêver.  C’est un être falot, un peu terne, certes narrateur brillant et passionné d’écriture, ce qui donne un sens à sa vie et lui permet de surpasser sa santé défaillante, mais pas très sympathique loin sans faut, ses péripéties d’une vie de bohème, ne sont pas des aventures qui éclaboussent vraiment la singularité de son œuvre. L’étude critique des œuvres de Robert Stevenson reste à écrire. Dans un deuxième volume par exemple ?

Éditions ARTHAUD 288 pages

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