Marion Desjardins: les Bancs voyageurs

Échange avec mon ami J.

–             Il faut que je te confie un secret J.
–             Vas-y, tu m’intéresses. C’est un secret…croustillant ?
–             Et bien, il me faut t’avouer… j’ai une addiction.
–             Ah bon, mais tu sais que tu m’intéresses de plus en plus…
–             J’ai une addiction … aux bancs !
–             Aux bancs ? ajoute-t-il perplexe
–             Oui aux bancs. Tu sais les bancs publics de Brassens, les bancs dans les parcs, sur les chemins de randonnée, les bancs dans les bois, perdus en pleine nature ou au contraire en pleine ville, les bancs face à la mer, les bancs en métal ou en bois, les bancs tu vois, je les aime tous.
J me regarde un peu incrédule.
–             Tu sais on a beaucoup chanté les bancs mais peu écrit dessus. Tu te rappelles du Renaud de la belle époque, du temps où il était encore … sobre ?

Oui Oui, je me rappelle bien…

Je me croyais seul (avec mon épouse qui partage la même addiction) à relever régulièrement les bancs que nous croisons, portant un avis, positif, enthousiaste, dépité, admiratif sur tel ou tel banc qui s’offrait à nous sur nos chemins de balade. Avec une préférence pour les bancs des jardins botaniques du Royaume Uni, en Ecosse, Glasgow en particulier, (mais aussi dans tant d’autres lieux insolites) , tant ils sont beaux, neufs souvent, estampillés d’une petite plaque en laiton en souvenir de tel ou telle personne décédée qui a donné son nom à un banc où elle avait sans doute l’habitude de s’asseoir, pour s’y reposer.  

Été dernier, en sortant du Scriptorial  d’Avranches, magnifique sanctuaire   des Manuscrits du Mont Saint Michel, nous entrons comme nous aimons le faire, dans une petite librairie inconnue, parfaitement achalandée, avec sur un présentoir bien visible le livre de Marion Desjardins » les bancs voyageurs », le tour de Granville en soixante bancs. Aussitôt vu, et feuilleté, aussitôt acheté.

Marion Desjardins, est franco-québécoise, ancienne journaliste, elle s’est retirée à Granville où elle vit désormais. Elle nous brosse une balade, en tous points délicieuse, en chapitres courts, fort bien écrits, pleins d’humour et d’humanité. Pas besoin d’être de Granville pour l’apprécier. Ce texte touchant est universel. Et puis, tellement reposant, tout en étant intelligent, cultivé et sobre. Parce qu’on apprend des tas de choses sur un banc !

Au fil des bancs donc,  nous croiserons « Pasiphaé devant la Mer Égée, Alexandre 1er roi de Yougoslavie et le dernier, un goéland argenté bruyant  et incontinent, un Amiral, Isabelle et Josette, fille et mère, partageant la même chambrette, Gérard et sa sweety qui a vécu au pays de Kadafi, les Trois grâces, toutes divorcées, qui ne vivent que pour la beauté et l’amitié, mais aussi Molières, Victor Hugo, les Antilles, Janine qui ressemble à sa tante Marie Madeleine, et Marcelle qui a bien manqué se mettre à pleurer, des escaliers à grimper, le Bhoutan et son BIB, un corsaire à la jambe de bois, des joueurs de pétanque, Christian et marie Noelle qui sont lents, très lents, le Cimetière Notre Dame avec un gilet jaune, Christian et la Rose des vents, un prêtre défroqué à l’étrange destinée, Yvon et François qui auraient bien besoin d’un sablier, Charles passionné de morue et qui mourut quand même. » Et tant d’autres.

Pas de meurtre, pas de guerre, pas de désastres climatiques, pas de mensonges, juste cela, une balade au grand air, au frais. Et des rencontres, des paroles simples ou des silences légers. C’est vraiment joli comme tout. On peut « choper » deux ou trois courts chapitres avant de s’endormir, dans le train, en attendant chez le dentiste. Ou mieux encore, assis sur un banc !

Depuis ma lecture, j’ai presque envie de découvrir Granville, de m’asseoir sur un banc, jeter un coup d’œil à la personne juste à côté, perdue dans ses pensées, et voir si ce ne serait   pas Marion.

Les bancs ont tous une histoire, ils ont entendu tant de choses. Si seulement ils pouvaient parler…

 Allez-y, vous ne regarderez plus les bancs de la même façon.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *