

Il y a des livres bien improbables. Des livres qui même exposés en évidence sur les tables des libraires ne nous font pas ciller un instant. On passe devant sans les voir, sans y porter la moindre attention. Mais qui peut bien s’intéresser aux mousses ? Quand je parle des mousses, je ne parle pas bien sûr des mousses au chocolat, ni de la mousse alléchante d’une pinte de Guinness, ni même des petits marins à pompons rouges sur les bateaux, je parle bien du végétal, de la mousse qui s’accroche, s’adapte, s’incruste dans le moindre rocher, la plus improbable des pierres, la portion de désert la plus étouffée par le soleil, le végétal, la mousse ordinaire quoi. Moi je m’en sers à peine pour la Noël, où j’en décroche quelques pans des murets de mon jardin pour créer une illusion de verdure autour de la crèche, ou au pied du sapin. Je n’aurais pas lu quelques lignes sur ce petit livre dans la rubrique livres de Sud-Ouest dimanche (excellente au demeurant) jamais mon attention n’aurait été alertée. Eh bien, amis lecteurs, j’aurais perdu un sacré moment de lecture.
Olivier Liron n’est pas n’importe qui, pianiste concertiste, Hypokhâgne lettres et sciences sociales, Normal sup lettres modernes, agrégé d’espagnol, danseur, comédien, romancier et nouvelliste. On fait mieux, je sais, mais tout de même, pour qu’il s’intéresse aux mousses de nos jardins, de nos forêts, de nos déserts, il y a bien une raison. En fait, il y en a plein. Son livre est une balade poétique, philosophique, littéraire, botanique, scientifique, au cœur de la biodiversité et du vivant, avec un regard émerveillé et plein de poésie sur un végétal sans doute le plus ancien de la création, 250 millions d’années tout de même contre deux millions au pauvre homo sapiens. Mais qu’est ce qui fait que cette plante qui compte plus de 23000 variétés a su résister aux catastrophes climatiques, au gel et au dégel, aux extinctions de masse, pour toujours refleurir, revivre, se réimprégner d’eau et de lumière.
On s’intéresse à plein aux arbres depuis quelques années et l’on a bien raison « la vie secrète des arbres » du forestier allemand Peter Wohleben, « l’arbre monde » de l’immense romancier américain Richard Powers, « la vie secrète des plantes » de Peter Tompkings.
Olivier Liron réussit le prodige de nous prendre par la main et de nous faire traverser avec les mousses 250 millions d’années, trois mille fois l’humanité, nous expliquant l’intelligence de cette plante, son pouvoir recouvrant, sa disponibilité à toute épreuve, son intelligence à se mettre en veille en attendant que ses spores avides d’eau et de lumière puissent se requinquer et se refaire une santé.
Ce livre érudit est passionnant comme quoi ce n’est pas incompatible.
Les mousses sont toutes de la même couleur. Pas du tout nous éclaire Olivier Liron, « il y a mille nuances de mousse, de l’anis à l’ardoise, en passant par l’amande. Il y a des mousses qui rappellent des prairies, des asperges, ou des cornichons. Il y a des mousses vert olive et des mousses vert kaki, vert pomme ou même Vercingétorix ! Il y a des mousses qui sont des plats d’épinards, des mousses qui se confondent avec la forêt même, des mousses qui sont des grenouilles de contes de fées. Il y a des mousses qu’on boirait comme une liqueur de Chartreuse qui nous brûle le gosier. Il y a des mousses couleur d’Irlande et des mousses qui sont des toasts à l’avocat. Il y a des mousses de fougère et des mousses de wasabi, des mousses de céleri et des mousses de sapin. Il y a des mousses jaune bouton d’or orangées comme un beau crépuscule d’été, des mousses de feu aux faites de leur ignition, des mousses pourpres et des mousses vermillon. (…) Et citant Louis Aragon ;
: « et brusquement, pour la première fois de ma vie, j’étais saisi de cette idée que les hommes n’ont trouvé qu’un terme de comparaison à ce qui est blond : comme les blés, et l’on a cru tout dire. Les blés malheureux, mais n’avez-vous jamais regardé les fougères ? « On l’a compris, Olivier Liron change régulièrement de registre dans son récit, il troque la loupe du biologiste, pour la casquette du photographe, se saisit de la plume de l’écrivain et du poète pour une incroyable promenade dans le temps, la culture, l’histoire et l’espace-temps.
Ce haïku magnifique de Yosa Buson, successeur spirituel de Bashô, éclaire sa pensée :
« la pluie d’hiver
silencieuse sur la mousse
me reviennent les choses du passé »
Les références savantes aux botanistes Francis Hallé et Jacques Tassin « dans Éloge de la plante » ou « Penser comme un arbre » nous passionnent autant que les rappels de l’essai magnifique du paléontologue Stephen Jay Gould dans « la vie est belle », les comparaisons sensibles lorsqu’il nous dit que » nos petites mousses ont écrit la première phrase du roman, celle qui est la plus difficile à écrire, les mousses sont l’incipit littéraire , le commencement de la fresque du monde avec un nombre de volumes quasiment infini, les mousses ont écrit les premières phrases du grand roman de la vie végétale.
« Il cite la poétesse Laura Schlichter :
« On croit que c’est l’immense
Qui sait nous renverser
Alors que c’est
L’infime
Le Cil
Le détail. «
Il sait philosopher en insistant « sur cette idée fondamentale et récente dans la théorie de l’évolution du Vivant : l’importance de la symbiose, et le rôle essentiel, qu’on ne soupçonnait pas, joué par les micro-organismes. Ce constat conduit à méditer : mutualiser, s’associer, seraient des stratégies de survie bien plus efficaces que l’individualisme et la compétition. « Bien d’accord.
Bref maousses les mousses !
Il sait nous rappeler cette vérité fondamentale du vivant :
C’est la diversité qui permet dans une population la survivance !
« Et comment ne pas s’émerveiller si l’on songe que certaines mousses réussissent à vivre sur les dunes de nos plages, à même les trottoirs brûlants de nos villes en été, ou jusque dans les arides régions désertiques du globe où la pluie est rarissime. »
Nous prenons conscience à travers ce livre, petit par le nombre de pages mais grand par le talent et l’érudition, à quel point le problème de l’eau est aujourd’hui devenu majeur pour la survie de l’humanité. Si l’on se tourne les pouces ou pire si l’on regarde sans rien faire, notre espèce ne survivra pas. Ce livre regorge d’humour, on flâne, on prend le temps de regarder émerveillé le vivant à l ‘œuvre, on fait une pause humoristique en plagiant le Petit Prince de Saint Ex : « dessine-moi une mousse ! ». « Lueur d’espoir » nous convie Sylvain Tesson, « une petite mousse dans la fissure d’un mur. «
« On chantonne sur les plantes avec Philippe Katerine
« Elles cherchent la lumière
En se transformant.
S’allègent en s’amputant, puis se régénèrent
(…)
Je suis comme une plante…. «
Clairvoyant, « est-ce au cœur d’une mousse de lumière que se lovent l’origine et la fin du monde ? Est-ce que les mousses détiendraient la clé du temps, de la lumière et des secrets du cosmos ? »
« Les mousses ont acquis ces adaptations au cours d’une longue symphonie de 400 millions d’années, nous dit-il. C’est un temps très, très vaste que l’on peine à mesurer ! A comparer au temps de l’humain : nos ancêtres lointains sont vieux d’à peine 2 millions d’années et Homo Sapiens aurait environ 300000 ans. Quelle est la leçon de tout cela ? on pourrait peut-être avancer qu’il ne faut pas désespérer : à l’image des mousses nous sommes perfectibles ! Dans la vie, l’appétit vient en changeant… «
Réflexions sur le sol, le temps, l’éternité, le vivant l’espace et le cosmos, tout est beau et réussi dans ce petit livre que je n’ai cessé d’annoter et dont on ressort fasciné, pétri de questions, on aurait aimé qu’Olivier Liron continue à nous émerveiller de sa poésie, de sa culture, de sa très belle écriture pleine de trouvailles littéraires et poétiques. De singulières pages aussi sur les tourbières à l’épreuve du changement climatique, on voit passer le promeneur solitaire qu’était le rêveur Jean Jacques Rousseau, lorsqu’il nous disait « qu’une chose contribue à éloigner du règne végétal les gens de goût : c’est l’habitude de ne chercher dans les plantes que des drogues et des remèdes. »
Enfin ce livre est une réflexion sur la lenteur et l’observation de tout être vivant, sur les sensations tactiles lorsque l’on effleure une mousse, une plante, ou que l’on recherche l’intimité du contact avec un arbre (la fameuse sylvothérapie) sur la contemplation et la méditation des jardin zen où les mousses abondent avec bonheur, sur le développement de cette acuité « qui nous permet de déceler (et d’accepter) l’impermanence de toute chose, de notre souffle, et le creusement annonciateur de nos ridules sur notre visage. «
Réflexions sur le temps qui passe et l’origine des choses avec ce proverbe japonais « si vous cherchez la source du fleuve, vous la trouverez dans les gouttes d’eau sur la mousse. «
« La mousse c’est le temps « nous dit l’auteur. Celles et ceux que nous aimons, il nous faut penser à eux tout tendrement, et souhaiter que leurs journées soient douces comme le toucher des petits hérissons de mousse. «
Une bien belle découverte d’un thème, d’une écriture et d’un auteur dont je vais m’enquérir des précédents ouvrages.
C’est maousse costaud et totalement fondant.
A ne pas manquer !
Olivier LIRON
Éditions Rivages 2015
152 pages