Olivier Norek: « Les guerriers de l’Hiver » Voyage au bout de l’ennui  

Le conflit Russo- Finlandais en 1939 vu par Olivier Norek

448 Pages Ed Michel Lafon

Olivier Norek est un auteur de polars désormais bien connu.     Ancien policier, il est passé à la littérature avec un succès en librairie qui lui vaut un public fidèle. J’avoue que ce n’est pas trop ce que je recherche en littérature, même si je suis un admirateur de grandes plumes de l’écriture policière comme Patricia Highsmith dont j’ai lu toute l’œuvre, John Le Carré bien sûr, Léo Malet, Georges Simenon ou Fred Vargas dont j’aime beaucoup le style et les histoires à tiroirs. Ou même parfois, les polars Islandais ou suédois comme Henning Mankell. Des plumes avant tout, mises au service d’enquêtes fouillées où les ressorts psychologiques sont finement amenés et analysés.

J’avais lu précédemment « Entre deux Mondes « que j’avais moyennement aimé. Un polar social, à la Philippe Lioret avec Vincent Lindon  au cinéma, se déroulant dans les camps de migrants à Calais. J’avais trouvé très bonne la description et l’ambiance oppressante et in-sécuritaire de ces camps de migrants où l’auteur s’était manifestement immergé, beaucoup plus faible l’intrigue, trop linéaire, qui ressemblait à un copier-coller d’un documentaire de France 2. Poussé par des amis, j’ai tenté son dernier livre, surtout pour voir comment il réussissait sa transition du polar au livre historique. Pierre Lemaitre, auquel on le compare souvent, qui excellait dans le polar, a magnifiquement réussi cette mutation, avec sa saga sur la famille Péricourt à partir « d’Au revoir là-haut », grand livre sur les Gueules cassées de 14 et dont j’attends avec impatience le dernier opus prévu en janvier.

 J’aime bien chroniquer des livres qui me touchent pour inciter d’autres amis lecteurs à les découvrir, je ne fais que rarement des chroniques négatives, à quoi bon dissuader, je n’ai pas la science infuse, et ne donne que des avis personnels. Mais plusieurs lecteurs sur les forums ont manifesté leur ennui à la lecture de ce livre, par exemple « j’en suis à la page 150, je m’ennuie à mourir avec cette histoire répétitive, poussive, dois-je poursuivre » ?

« Les guerriers de l’hiver » racontent un épisode peu connu de l’Histoire, avec l’invasion sans scrupules ni raisons de la Finlande par la Russie en 1939, pour annexer ce pays et en capter le territoire et les richesses. Le personnage central est un sniper hors du commun, Simo, tireur d’élite qui a réellement existé et est devenu une icône dans son pays.

Je sais que beaucoup de lecteurs se sont déclarés captivés, émerveillés et passionnés par cette histoire. Pourtant, je crois utile de dégager un espace pour ne pas culpabiliser les lecteurs qui n’ont pas aimé ce livre et puissent se sentir moins seul dans leur jugement.

Sur 450 pages, 400   sont d’un ennui mortel !

 Nous suivons des combats à répétition dans la Finlande enneigée et glaciale, avec l’intérêt que l’on pouvait avoir à feuilleter le catalogue de la Manufacture d’armes de Saint Etienne. Nous saurons tout, sur les fusils, les obus, les canons et les tanks, les explosions et les dégâts humains, les cadavres et les charniers qui se remplissent, le nombre de Russes descendus. En revanche, rien sur la psychologie des personnages, d’où viennent-ils, que pensent-ils, que ressentent-ils, (est-ce parce que Pierre Lemaitre par exemple est psychologue de formation et Olivier Norek un ancien Flic ??) totalement désincarnés, aux contours flous et inhabités. Nous ne saurons rien pendant 400 pages sur les enjeux géopolitiques, tout par contre sur le manichéisme entre les valeureux Finlandais et les Russes totalement idiots, commandés par des stratèges politiques abrutis au premier rang desquels Staline « Le petit père de la nation Russe ». La transposition historique qu’a voulu faire l’auteur en identifiant ce conflit avec ce qui se passe en Ukraine, est complètement ratée, et effectivement d’un ennui mortel. On lit et relit les mêmes situations, les mêmes pages les mêmes boucheries pendant 400 pages, les mêmes clichés nauséabonds, on n’est même pas dans un récit de résistance, mais plutôt dans la béatitude absurde face à l’empilage des corps mutilés, écrasés, défigurés, congelés, le métal en fusion face à la chair humaine.  Et je partage l’avis de nombreux lecteurs, on « s’emmerde » de cette surenchère permanente.  Là où on devrait grelotter et trembler avec les soldats on s’ennuie ferme. Nous sommes davantage face à un manuel d’apprentissage du tir au fusil que d’un livre d’histoire. Pourquoi ?

 Parce que nous sommes blasés des images de guerre qui tournent en boucle sur les chaînes d’infos en Ukraine ou à Gaza, au Soudan comme au Liban, au point, pour ma part de ne plus regarder ces chaines et de m’en tenir à des analyses écrites avec le recul nécessaire exempt d’images que l’on ne connaît que trop. Ce livre est complaisant avec les horreurs de la guerre qui ont l’air de fasciner l’auteur alors que la nausée a depuis le début rempli son rôle chez le lecteur. On n’est pas touchés un instant par des personnages transparents, sur lesquels on n’apprend rien de la vie personnelle, ce qui fait le sel des livres de Pierre Lemaitre. Là où le ton aurait dû être épique, le style est d’une pauvreté affligeante, l’émotion n’est jamais au rendez-vous, il ne suffit pas de mettre le mot « larmes « dans une phrase pour les déclencher.

Alors que voulait faire l’auteur ? Nous dire que la guerre est une boucherie ? Que la guerre est sale ? Que les militaires Russes sont des andouilles ? que les soldats sont de la chair à canon ? On aurait aimé avoir un contrepoint sur les soldats russes, envoyés à une mort inéluctable. Alors que l’on a davantage le sentiment d’une entreprise de voyeurisme sur la barbarie que d’un livre à décharge sur la guerre (si j’ose dire). Là où Pierre Lemaitre est inventif, en creusant l’humanité de ses personnages, par des ressorts dramatiques, Olivier Norek nous emmène dans un Voyage au bout de l’ennui. Le livre ne fait qu’exalter les « horreurs » de la guerre, porte au pinacle les snipers, et pond des oxymores sur ceux qui tuent le plus de Russes et reçoivent « un Fusil d’honneur. » Le personnage central, le tireur d’Élite autour duquel gravite l’histoire, Simo Häyhä, dit « La Mort Blanche » ne prend forme et vie que dans le dernier quart du livre, où une photo nous le rend   présent et humain, où la fragilité et les blessures terribles exposées nous le rendent enfin proche. Nous ne savons rien de lui, de sa vie passée, de ce qu’il pense, de ce qu’il fait, si ce n’est, charger et tirer, recharger et tirer, répété à de multiples reprises.

Il y a eu de grands romans de guerre, sur la stratégie militaire » L’art de la Guerre » de Sun Tzu, le classique de Clausewitz « De la guerre », de grandes épopées romanesques « Guerre et paix » de Tolstoï » bien sûr sur l’Âme Russe, pourquoi pas « l’Adieu aux armes «  d’Hemingway, » la Chambre des officiers » de l’excellent Marc Dugain, ou « 14 » remarquable,  de Jean Echenoz, il y en a tant d’autres. Mais là, on ressort confondu et même en colère.

 Je voudrais être juste.

 Le livre s’arrange au bout, allez, de 350 pages, après la Prière du Sniper. Un peu d’humanité se substitue à ces combats sans fin, et l’intérêt se relance par une écriture enfin humaine, dont l’auteur est certainement pétri, la géopolitique reprend ses droits, l’interaction entre les personnages prend forme, une femme, il n’y en a aucune dans ce livre, infirmière,  est là pour sauver par deux fois le héros, et une phrase tient la route avec force, la seule du livre au fond, lorsque l’auteur fait dire à un officier Russe, au lendemain de la paix finalement signée sous contrainte entre les deux parties, « nous leur avons juste pris assez de territoire pour avoir la place d’y enterrer nos morts ». Plus on s’éloigne des champs de bataille, plus le livre devient humain.

J’entends le travail historique de l’auteur, sa sincérité à relater un conflit  qui l’a personnellement touché, les archives consultées, les historiens rencontrés, les témoignages recoupés, le travail, immense engagé, mais voilà, pour moi, et pour d’autres, ça n’a vraiment pas fonctionné, l’ennui a régné en maître jusqu’aux 50 dernières pages.

 Quand on aime un livre, on a hâte et envie de le partager, et je comprends que les fidèles d’Olivier Norek seront déçus d’entendre une voix dissonante, mais que les lecteurs qui comme moi ne se sont pas retrouvés ni passionnés par cette histoire si mal ficelée n’aient pas à culpabiliser de le dire et ne se sentent pas isolés dans leurs convictions et leurs jugements. 

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