Perspectives

de Laurent Binet

Perspective(s)

De Laurent Binet

Éditions Grasset

304 pages

Florence. 1557. Le peintre Jacopo PONTORNO, un des chefs de file de l’École Maniériste dans la Peinture du 16ème siècle, est retrouvé assassiné au pied des fresques de la chapelle de San Lorenzo à Florence, auxquelles il travaillait depuis onze ans. L’Europe à cette époque est un champ de bataille, les rivalités sont permanentes entre les différents territoires, notamment entre Cosimo 1er Duc de Florence et sa cousine Catherine de Médicis, Reine de France alliée au Marechal Pietro Strozzi, son cousin, vieil ennemi du Duc.

Un tableau maquillé, sacrilège, car il représente Maria de Médicis, lointaine cousine de Catherine et fille du Duc, dans une position érotiquement scabreuse, est au centre de cette affaire. Le Duc va charger son homme de confiance Giorgo Vasari de l’enquête. Une vingtaine de protagonistes, parmi lesquels le grand Michel Ange, Star vieillissante de l’époque mais aussi d’autres peintres maniéristes du moment,   Bronzino, Naldini, des religieuses au  couvent acquises aux  idées du moine Savonarole, prêcheur vindicatif contre la corruption du Clergé et qui finira exécuté,  Marco Moro un  ouvrier progressiste et engagé, travaillant   au contact du peintre comme broyeur de couleurs, et enfin la jeune Maria de Médicis,  cousine de la Reine de France ,  sont au centre du « tableau » et tous, de suspects potentiels    exécuteurs du meurtre.

Le livre est astucieusement   ficelé, sous forme épistolaire, des lettres courtes, écrites par les différents personnages, sous forme d’échanges, prompts et vifs, nous permettant de suivre l’intrigue et dans le même temps de comprendre de l’intérieur, les pensées, les calculs, les manipulations, , les perversions,  des uns et des autres. Jusqu’à la chute finale. Inattendue et déroutante. L’intrigue est habile et parmi la vingtaine de suspects, ce n’est pas celui auquel on s’attend, alors que l’auteur aura pris un malin plaisir à nous égarer sur de fausses pistes, qui s’avèrera être le coupable.   

Thriller, dont le cadre s’il est historique prend ses distances avec la réalité. La vie ne valait pas cher à cette époque.

On se plonge de manière plutôt addictive, dans cette Histoire, et l’on tourne fébrilement, parfois avec urgence, les pages et les lettres, pour avancer dans cette ténébreuse histoire, où la femme n’a pas le beau rôle dans un monde masculin et sexiste. Le style est enlevé, fluide, aux couleurs de l’époque, à la fois élégant et policé, peut-être trop.

Tout est ici affaire de « Perspectives » car tout un chacun peut être coupable.

« Perspectives « est utilisé au sens de Polysémie, c’est-à-dire avec plusieurs angles de vue. C’est sans doute cette architecture-là qui rend le livre intéressant. Et actuel.

« La perspective, c’est l’infini à la portée de tout ce qui a des yeux. (…) Grace aux peintres, qui maitrisent les effets d’optique, ce prodige a été rendu possible : on peut voir au-delà. Permettre à l’œil de transpercer les murs. (…) Un tableau n’est pas seulement une fenêtre à travers laquelle nous regardons une section du monde visible. Nous sommes les fenêtres de Dieu. Voilà ce que nous sommes ».

Laurent Binet nous offre une galerie de portraits, peu reluisants et enviables. Intrigues, jeux de pouvoir, manipulations, scènes sordides où la morale n’est pas de mise. Si l’on transposait l’histoire à notre époque, nous pourrions vite comprendre que rien n’a vraiment changé.

« Si vous observez la conduite des hommes, vous verrez que tous les plus riches et les plus puissants, n’ont réussi que par la fraude ou par la force ; vous verrez qu’ils cachent ensuite la turpitude de leur conquête sous le nom de gain, légitimant ce qu’ils ont usurpé par la tromperie ou la violence. Ceux qui par manque de prudence ou par excès de sottise, se refusent à ces méthodes, s’enlisent dans l’asservissement et l’indigence. Les serviteurs fidèles restent des serviteurs et les hommes bons des miséreux. J’en entends certains qui crient à la république. Mais pourquoi faire, la république, si le pouvoir est aux mains de quelques-uns, au détriment de de tous les autres ? (…) Ce que nous voulons n’est pas la République mais la Justice, qui est l’autre nom de la République pour tous. « 

Au fond, un récit bien actuel. Jamais le terme de « Florentin » au sens de l’art du complot, et aujourd’hui nous dirions de combine, n’aura trouvé là, meilleure illustration.
C’est le premier livre que je lis de Laurent Binet.

C’est un livre certainement brillant, mais peut être aurais-je aimé, au fil des pages et des descriptions de ces cours corrompues, trouver un style plus rabelaisien et moins monocorde, davantage d’enflures, débordant les codes littéraires, et pour raconter une telle histoire des inventions de langage et de syntaxe, une agressivité supplémentaire.

Enfin, ce n’est pas un livre d’abord facile pour qui n’est pas féru de connaissances historiques, picturales, florentines. Devant la pléthore de personnages, il est utile, dès le départ de se faire une fiche en relevant qui est qui et qui fait quoi, au risque sinon de se sentir vite perdu. Une fois le rythme pris, le livre se déroule comme un film, avec quelques temps faibles qui font pâlir l’intérêt.

J’ai parfois pris ce livre   comme un exercice de style, lorsque l’attachement à l’histoire et aux personnages s’étiole.Un bon livre d’époque…  Et d’actualité.

Que lui souhaiter de plus ? Le Prix Médicis certainement !

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