Comment devenir Juré d’un Prix Littéraire
Ce fut une belle histoire, et si ce n’était pas un beau roman, ce fut un bel essai.
28 mai 2024. Cette expérience unique pour moi me revient en mémoire avec beaucoup d’émotion. Et je ne regrette pas de ne pas l’avoir évoquée, écrite et partagée plus tôt. J’ai eu ainsi le temps de la laisser décanter, mon histoire, sédimenter dans les strates de ma mémoire, pour en faire un souvenir vivant, permanent, chaque semaine renouvelée.
Cela faisait des années que mon épouse me voyant addict aux livres, à la littérature, à la lecture, me disait, mais pourquoi tu ne candidates pas pour faire partie du jury du Livre Inter ? Et chaque année, avec lassitude, je répondais, tu imagines le monde qui doit postuler, je ne vois pas l’ombre d’un millionième de chance à ce que je sois retenu. Et puis, c’est peut-être tellement superficiel…
Cette année-là, changement de musique, c’est Augustin Trappenard qui à la fin de La Grande Librairie, donc en Février 2024, fait « la réclame » pour le Prix France Télévision, dont il est devenu le Président du Jury depuis deux ans, après la disparition de Bernard Pivot qui en fut, et le créateur et le Président pendant 30 ans. Il reste quelques jours pour s’inscrire en ligne, et un dimanche soir je vais voir les démarches à faire sur le site de France 2. Et je m’y mets. Petit dossier d’inscription, plutôt classique, identité, âge, renseignements administratifs. Habitudes de lecture, auteurs favoris, temps passé à lire etc… que du classique. Et puis écrire une lettre de motivation pour expliquer ce qui nous pousse à poster une candidature pour participer au jury d’un prix littéraire. Je reprends un temps de réflexion, imaginant la ou les personnes qui doivent ingurgiter la somme de mails, le temps et le travail passé à lire des demandes plus ou moins folichonnes, un boulot plutôt barbant. Que d’égos démesurés à analyser, à déconstruire, à interpeller. Que d’espoirs de lecteurs à décevoir.
OK je m’y mets, et je fais un petit texte, plutôt marrant, me disant au moins, la personne qui te lira, passera un moment sympa voire drôle. Et me voilà, à raconter comment le goût de la lecture m’est venu ou plutôt entretenu en regardant et en écoutant ma grand-mère, ancienne directrice d’école PUBLIQUE dans un petit village près d’Agen, récitant les tirades du CID tout en touillant sa béchamel. Un texte effectivement rigolo, auquel je joins une chronique que j’avais écrite sur le livre de Julia Malye « La Louisiane », très beau livre dont l’autrice avait raconté l’Histoire à la Grande Librairie. Voilà, cliquez sur envoyer. C’est fait. J’ai un doute sur l’envoi car je ne reçois pas de récépissé, pas de mail de France Télévisions me confirmant mon inscription. Bah, tant pis ! Et puis j’oublie le truc. Deux mois plus tard, rentrant du boulot, je découvre un mail de Katia M. , la secrétaire d’Augustin Trappenard, me confirmant que je suis sélectionné et fais partie des 11 jurés. Courant d’eau glacée dans le dos.
Belle surprise ! Ou plutôt coup de tonnerre ! Mince alors, les « emmerdes » commencent me dis-je ! Ni une ni deux, je l’appelle, réponse immédiate, long échange avec une personne débordant de gentillesse, aimant le dialogue. Et me voilà lui expliquer, un peu beaucoup gêné que non, je ne pourrais pas venir, cela tombe un mauvais jour, je serais à Glasgow en Ecosse chez mes enfants à cette date etc… Pas de soucis me dit-elle, à la fin de l’échange, vous pouvez toujours candidater l’année prochaine.
Juste avant de raccrocher, mu par un réflexe étrange, je lui demande, « au bas mot, vous avez reçu…combien de demandes ?
Nous nous sommes arrêtés à 2000 me répond elle, mais nous en aurons bien 3000 de plus ensuite… 2000… lui dis-je ? et je suis dans les onze ? Mais alors, il y a bien peu de chances pour que le sort me fasse signe une seconde fois. Écoutez, lui dis-je embarrassé, je change d’avis, je viendrai ! Vous êtes sûr, je compte sur vous ? Sûr comme deux et deux font quatre, quand je m’engage, croix de bois croix de fer. Ok me voilà adoubé ! Au final soulagé !!
Pendant deux mois, et c’est plutôt sympa, je reçois chaque semaine un livre par la Poste, adressé par la maison d’édition concernée. Plutôt agréable comme formule, me parviennent un livre de Nina Bourraoui, « Grand Seigneur », Bastien François, « Retrouver Estelle Moufflarge », Natacha Appanah, « La mémoire délavée », Beata Umubyeyi Mairesse « Le convoi » « l’homme aux mille visages », de Sonia Kronlund, « le Gaslighting ou l’art de faire taire les femmes « d’Hélène Frappat. Pas vraiment des essais dans cette présélection, plutôt des récits non romancés.
Lecture sérieuse au niveau de l’organisation qui ne l’est pas moins. Appels réguliers de Katia , pour savoir où j’en suis, si je suis dans les temps, comment je travaille.
Bref si j’ai pris mon rôle au sérieux. Tu parles Charles, je suis sérieux comme un pape ! Pas question de venir sans avoir préparé mon affaire, ni de me défiler au dernier moment.
Venir à Paris, pour le provincial que je suis n’est pas une mince affaire. Ou plutôt c’est une charge, de quitter mes Cévennes, mon trou à chèvres. En réalité c’est de Glasgow que je partirai, le 27 mai, la veille, accompagné par mon épouse à qui j’ai demandé de venir dans la capitale éponger un peu de mon stress. Hôtel à proximité de France Télévisions, repérage de l’entrée la veille, pas question d’arriver en retard. Le matin rendez-vous à midi devant le siège, où nous nous retrouvons à quatre ou cinq jurés, stressés c’est pas peu dire, ce n’est pourtant pas nous les auteurs, et nous n’allions pas passer à la télé tout de même. Mais bon, bousculés dans nos habitudes tout de même, frileux chaque fois que nous sortons de notre sillon bien tracé. Accueillis par Katia et l’équipe dans le hall, vraiment avec une infinie gentillesse et beaucoup de chaleur humaine, les cousins de province pas vus depuis plusieurs années, nous grimpons au 7eme étage où nous attend avec le sourire Augustin, toujours élégamment vêtu, un mot gentil pour chacun comme si nous nous connaissions depuis des lustres. Il sera bien là avec nous pendant tout le débat.

Salle bien apprêtée, table dressée avec maître d’hôtel, repas fin et vue magnifique sur la tour Eiffel. Que demander de plus. Le ton est d’emblée sympathique, tutoiement de rigueur pour faciliter le contact, pour se libérer d’une appréhension légitime, très vite après quelques plaisanteries, le ton est lancé, les langues se délient, les esprits s’échauffent et le groupe va ressentir une énergie se libérer et circuler comme s’il s’agissait de retrouvailles d’une bande de copains. La fameuse énergie de groupe ! Nous nous présentons, de tous âges (je suis le plus âgé ! mince alors ! déjà ??) tour de table, un commissaire de police en retraite, une journaliste de France 3, une assistante sociale, un avocat, une prof de littérature comparée, des sans profession, deux étudiants, jury équilibré venant de partout. Dès lors, 6 heures de débat vont se dérouler dans une ambiance… formidablement conviviale. Nous avons tous affuté nos arguments, préparé nos fiches, Augustin comme à la télé fait rebondir les positions, intègre les moins bavards et calme les plus loquaces (dont moi !) avec beaucoup de gentillesse et de savoir-faire, c’est un pro indiscutablement, il sait faire et surtout nous accorder, à chacun la même attention, la même écoute que si c’était Catherine Deneuve dont il avait fait une longue interview la semaine précédente. Nous découvrons, un homme d’une intense gentillesse et d’une grande culture, d’un professionnalisme sans tâche. A l’image comme dans l’intimité, la nôtre, il deviendrait presque un frère ou un ami. Le vote se fera sans difficultés, « le Convoi » sortant largement plébiscité.
Nous aurons du mal à nous séparer tous, tant nous avons passé un moment suspendu dans le temps, loin de tout, du fracas du monde, des catastrophes écologiques, des malheurs de l’humanité, un temps irréel où pendant 6 heures nous avons seulement et intensément parlé de littérature.

Je garde un souvenir merveilleux de cette expérience, qui ne pourra rester qu’unique. Certainement pas reproductible. Un goût renforcé pour la lecture si c’est encore possible. La chance d’avoir rencontré des jurés magnifiques, une équipe extra qui manifestait un plaisir évident à rencontrer onze lecteurs lambdas, et un maître de cérémonie empreint de beaucoup de gentillesse.

Cette histoire eut une suite. Un mois plus tard, et cela n’était pas une obligation, un Zoom d’une heure nous fut proposé pour échanger en direct avec Beata, sur son livre et son prix, très émue de rencontrer des lecteurs qui avaient presque à l’unanimité décroché les étoiles pour son livre. Échange passionnant, fructueux, émouvant et c’est avec bien des regrets que nous nous sommes séparés, conscient d’avoir vécu un moment de partage unique qui ne se reproduira plus jamais.
Merci Augustin. Nous appliquerons ta consigne : lisez bien !
