Stéphane CARLIER « Clara lit Proust »

Aimez vous Proust ?

Proust ou pas Proust ? Tel est pour beaucoup de lecteurs ce curieux dilemme, singulier, et peut être unique pour cet auteur.
Je lirai Proust un jour.
J’ai essayé il y a longtemps, je me suis endormi.
Non, j’ai trop peur de m’ennuyer.
 Il parait que c’est vraiment rasoir.
Ah ! je m’y mettrai un jour.
Bof ! ça date !
Au bout de 80 pages, le livre m’est tombé des mains. Que de longueurs !

En réalité, lorsqu’on en parle autour de soi, force est de reconnaître qu’il n’y a pas beaucoup de lecteurs qui ont lu » la recherche » dans son intégralité. Et même qui ont lu le premier volume « Du côté de chez Swann. »

Je parlais avec Éric mon libraire, érudit et toujours apte à trouver la solution à une faille de lecture. Je lui confiais mes regrets de ne pas avoir encore pu aborder certains grands auteurs manquant à mon palmarès de lecture, Joyce (celui d’Ulysse), Beckett (mais là oubli réparé, chronique à venir), Pérec (idem c’est fait. Extra !).

 Pour Proust, je l’ai vu partir saisir un Folio dans ses rayonnages, et avec un petit sourire en coin, me tendre « Clara lit Proust ».

Lisez celui-là, vous allez trouver une clé de lecture. Soit.

Stéphane Carlier n’est autre que le fils de l’humoriste Guy Carlier. Honnête parcours, Hypokhâgne, maîtrise d’histoire, journalisme, un passage au ministère des affaires étrangères, il y a des parcours plus anodins même si le parcours ne fait pas tout. On le constate chaque jour. Membre d’un Cercle Proustien.

Clara est coiffeuse. Chez Cindy Coiffure.  Tenu par Mme Habib, maitresse femme, plantureuse, qui a vécu. Elle y côtoie des copines de travail, Lorraine hypochondriaque, Nolwenn, Patrick. Potins, anecdotes rythment le salon où peu d’hommes viennent se faire coiffer, beaucoup de clientes du quartier. Des histoires de coiffure, plus ou moins rigolotes. Radio Nostalgie et les pubs Leclerc illustrent le fond sonore. Un beau jour, un jeune homme, acteur, de passage, vient se faire coiffer. Après son départ Clara remarque l’oubli d’un livre de poche sur le fauteuil d’attente. Coup d’œil de Clara, le premier tome d’un auteur Marcel Proust, le premier volume de la Recherche. Clara est curieuse, emporte le livre et l’oublie dans sa maigre bibliothèque aux côtés de Guillaume Musso, Bernard Minier ou Katerine Pancol. Plusieurs mois plus tard, elle se remémore cet épisode, curieuse, plus disponible peut-être, elle ressort le livre. Qu’est-ce que c’est que ce livre et cet auteur étrange dont elle n’a jamais entendu parler ? Que sont ces mots inédits, imprévus, impénétrables dont elle ne connait ni le son ni la signification ? Que sont ces phrases interminables qui font naître peu à peu une petite musique dans sa tête ? Une phrase l’interpelle.

Elle s’y engraine, sous le charme.

« Plus elle le lit, mieux elle le comprend. Il n’emploie pas de mots compliqués, c’est juste que ses phrases, souvent, vont voir « ailleurs ». Une fois qu’elle le sait, qu’elle a compris, qu’il ne l’abandonne pas mais reviendra la chercher, ça va tout seul. En fait, ce qui le rend si particulier, c’est sa sensibilité. On n’a pas l’habitude, dans la vie courante, d’éprouver les choses de cette façon. Et c’est se hisser à ce degré de finesse qui demande un effort à celui qui le lit. Qui requiert toute son attention. Qui fait qu’il ne peut pas lire Du côté de chez Swann » avec Rage Against the Machine en fond sonore. Bon, c’est un exemple. « 

Car Clara va tellement s’absorber et se fondre dans la Recherche, que sa vie va basculer, au point de devenir…  Proustienne. Tout va se bouleverser, son compagnon, ben non, ce n’était pas le bon, ses rapports avec ses copines de travail, pas de temps à gaspiller, et son métier de coiffeuse ? Aussi, elle oubliera shampoings et bigoudis. Au point de devenir… ah je ne vous le dis pas. Le livre fait 200 pages, il se lit en deux heures, il se susurre comme … une madeleine… de Proust ! un vrai bonbon acidulé avant de passer à un livre plus… robuste ?

Clara s’introspecte comme elle ne l’a jamais fait. « Se peut-il que tout ne soit chez l’homme que mensonge, hypocrisie, médiocrité ? Que la vie ne soit qu’une comédie des apparences à peine plus plaisante qu’un reflux gastrique ? Que rien ne soit jamais à la hauteur du désir qui le précède ? Que le seul salut possible, la seule expérience envisageable du bonheur se trouve au contact des œuvres d’art ? « 

Elle en tirera des conclusions radicales et pleines d’espoir. « Ils ne sont pas nombreux ceux qui se réinventent. On prend généralement pour argent comptant la version de la réalité qu’on nous présente en premier, on s’abstient de la questionner par manque d’audace, parce que c’est plus facile, plus confortable et, ce faisant, on vit la vie imparfaite et frustrante de quelqu’un qui ne nous ressemble que de loin. Elle a peu de certitudes, de moins en moins à vrai dire, mais elle a celle-ci : on ne se rend pas compte à quel point notre destin est façonné par les autres »

Entendons-nous bien, ce n’est pas le livre de l’année.

Mais c’est un récit malin, bienveillant, habile et plein d’humour qui se terminera par une pirouette, que pour ma part j’ai trouvé élégante, amusante, touchante, amère. Comme beaucoup j’ai le premier tome de la Recherche dans ma bibliothèque, un peu de poussière s’y est déposée dessus.  Je vais vous faire une confidence. Je ne le regarde plus en l’évitant du regard lorsque je passe devant. Et même mieux, je l’ai sorti du rayonnage, je l’ai mis en bonne position pour ma valise, vous savez la valise des livres qu’on emmène en été ?

Conclusion : merci Éric, mon libraire. Je viendrais vous revoir pour me trouver un marchepied pour escalader ma prochaine falaise : Ulysse » de Joyce.

Stephane Carlier se présente. Sympa!

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